Quand on se rend dans une brasserie, on y retrouve immanquablement une ambiance singulière. La nature du lieu inspire quelque chose de décontracté, de relax même. Pourtant, derrière le plaisir de prendre un verre, on oublie souvent qu’on se trouve dans une entreprise. Le Temps d’une Pinte à Trois-Rivières assume d’ailleurs totalement cette identité : la microbrasserie évalue soigneusement son modèle d’affaires, relève des défis, et s’efforce de faire évoluer sa marque.
Alain Rivard est diplômé de plusieurs programmes en sciences de l’administration de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Au cours des années 1990, il a complété un certificat en administration et un certificat en gestion des ressources humaines, qui lui ont permis d’obtenir un baccalauréat en administration des affaires par cumul de certificats. Par la suite, il a entamé une maîtrise en administration des affaires (MBA), qu’il a complétée en parallèle de sa vie professionnelle. Il est ensuite devenu cofondateur du Temps d’une Pinte, où il s’occupe des tâches reliées aux finances, à l’administration et au management.
« Il y a beaucoup de créativité dans l’organisation. Nous avons choisi une cuisine bistro, qui nous permet de renouveler le menu chaque semaine. En fonction des arrivages, nous offrons des plats qui mettent les aliments saisonniers en valeur. Bien sûr, les gens se déplacent d’abord pour faire l’expérience de la bière, mais la bouffe n’est jamais loin. D’ailleurs, la culture culinaire fait en sorte que les repas suivent habituellement une séquence bière, vin et digestif. Or, nous croyons que la bière peut accompagner chaque étape d’un bon repas », indique M. Rivard.
Le copropriétaire raconte également comment la créativité sert à démarrer des projets au sein de son organisation. Sur le plan brassicole, il arrive fréquemment que les brasseurs du Temps d’une Pinte reviennent de voyage avec des idées pour de nouvelles bières. Pour d’autres idées (parfois un peu folles), les administrateurs n’hésitent pas à souffler sur les braises pour générer des flammes. Évidemment, le processus de création demeure toujours ancré dans l’ADN du Temps d’une Pinte.
« Souvent, nos projets naissent avec un besoin. Le tuk-tuk[1] est un bon exemple : c’est un objet qui nous a beaucoup plu quand on l’a découvert, mais nous ne savions pas quoi en faire. Puis, la pandémie est arrivée. Nous pouvions toujours vendre nos bières dans les épiceries et les dépanneurs, mais nous ne pouvions plus vendre notre café en commerce. La mobilité offerte par le tuk-tuk est devenue notre solution. Nous avons commencé à faire des livraisons, et à réunir les gens autour du tuk-tuk », témoigne M. Rivard.
En ce qui concerne la gestion, Le Temps d’une Pinte fonctionne selon un modèle coopératif. Le copropriétaire estime que cette structure démocratise la prise de décision, et qu’elle a un impact profond sur l’engagement des coopérants envers l’entreprise. La prise de position autour de la table demeure ainsi équilibrée, et force chacun à trouver la meilleure solution pour rallier le groupe. Cette façon de faire s’accompagne également d’une certaine ouverture au changement.
« L’intelligence du Temps d’une Pinte, ce sont nos employés qui la détiennent. Nous voulons les entendre, parce qu’ils sont les premiers que nos décisions impactent. Ça nous permet de vérifier si nos idées ont du sens lorsqu’elles sont appliquées à leur travail. Ça vient aussi avec une notion de responsabilisation : nous encourageons les membres de notre personnel à apporter des changements eux-mêmes. Notre style de gestion se rapproche ainsi de ce qu’on appelle l’entreprise libérée », remarque M. Rivard.
Une vocation d’administrateur
Le copropriétaire du Temps d’une Pinte ne s’en cache pas : depuis le début de ses études postsecondaires, il a la bosse de l’administration. Du cégep à l’université, il apprivoise cette science qui lui donne envie de se spécialiser en ressources humaines. La rareté des emplois dans ce domaine à l’époque l’amène cependant à revoir son plan.
« J’ai commencé à m’intéresser aux PME. J’aimais leur côté dynamique, leur réactivité au marché, leur familiarité… Par contre, je trouvais qu’il me manquait des connaissances en finances pour travailler dans ce domaine. J’ai donc suivi une formation, et pour des raisons d’opportunité, je me suis carrément retrouvé à travailler en finances. J’ai occupé des emplois dans le secteur du développement économique pendant une douzaine d’années, notamment au CLD de Shawinigan et chez IDE Trois-Rivières. Je faisais de la gestion de fonds, du développement entrepreneurial, et j’aidais les entrepreneurs à aller chercher du financement », explique-t-il.
Par la suite, M. Rivard a fait le saut dans le domaine du génie-conseil, où il a agi à titre de contrôleur financier et de directeur des finances. Entre autres mandats, il s’est occupé du développement des affaires à l’international, aidant son employeur à ouvrir des bureaux au Mexique, en Algérie et au Maroc. Il a ensuite quitté son poste pour enseigner l’administration au Cégep de Trois-Rivières. Avec ses collègues, il a imaginé et contribué au démarrage de la Zone entrepreneuriale, qui offre des services pour les entreprises et de la formation dédiée aux entrepreneurs.
« Pendant cette période, j’ai enseigné à l’un des instigateurs du projet du Temps d’une Pinte. Je lui ai fait réaliser que le développement financier était un volet vital pour assurer la pérennité d’une entreprise. Quand bien même il serait un bon brasseur, un bon chef cuisinier et un bon stratège en matière de développement des affaires, c’est sa relation avec ses partenaires financiers qui vont lui permettre d’amener son entreprise plus loin. Il m’a donc recruté pour que je lui donne des conseils, et de fil en aiguille, j’ai fini par me joindre au projet », se souvient-il.
Faire sa marque dans la communauté
La vision collective de l’entrepreneuriat préconisée par Le Temps d’une Pinte lui permet de suivre le pouls de son environnement. En plus de lui amener un rayonnement profitable, cette conception tend à déborder à l’extérieur de ses murs. M. Rivard croit en effet que sortir de son entreprise pour aller vers les autres permet de mieux réfléchir à l’avenir du milieu. En s’impliquant à titre de citoyen corporatif, il espère partager avec les autres commerçants les éléments de créativité et de changement qui ont bien servi la microbrasserie.
« Je pense que notre marque est devenue intéressante parce que nous concordons avec ce que le marché voulait. Au-delà de tout ça, nous avons aussi des réflexions un peu plus macros sur notre communauté. Avec la pénurie de main-d’œuvre, le réflexe des restaurateurs, c’est de fermer du dimanche au mardi ; or, si tous les restaurants du centre-ville sont fermés ces journées-là, nous nous tirons tous dans le pied. J’ai donc initié des discussions avec d’autres établissements pour voir si nous étions capables d’assurer un service minimal les jours les moins achalandés », remarque le copropriétaire du Temps d’une Pinte.
« Dans le modèle coopératif, on ne peut pas seulement penser à soi-même. Il faut penser à l’organisation, même si ça vient parfois avec un contrecoup sur son segment de travail. Avec une telle logique, ce n’est pas difficile de s’asseoir avec des compétiteurs, parce que le but, c’est de veiller au bien de la collectivité. Les gens finissent par comprendre que malgré la concurrence, nous allons créer un environnement plus riche si nous travaillons ensemble. Avec la situation actuelle de l’emploi, si j’embauche un cuisinier, ça veut dire qu’il a quitté un emploi ailleurs. En faisant cela, j’ai appauvri quelqu’un, et je ne veux pas ça. Nous devrions peut-être mettre nos ressources en commun, ou à tout le moins travailler ensemble pour rendre la profession plus intéressante », conclut M. Rivard.
[1] Taxi à trois roues de fabrication italienne, typique des routes des pays de l’Asie du Sud-est.