Dans le monde de la microbrasserie, quelques échanges avec les gens derrière le bar suffisent à faire un constat : il n’y a pas de profil unique pour devenir brasseur. Certains le deviennent par passion, d’autres par sens des affaires, et d’autres encore par opportunité. À la microbrasserie l’Hermite de Victoriaville, la bière porte en elle une histoire singulière ; le récit de trois personnes qui, au fil de rencontres, ont formé un projet autour de leurs aptitudes et de leurs intérêts communs.
Marc Lefebvre et William Hébert sont tous les deux diplômés d’un programme d’ingénierie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Alors que M. Lefebvre détient un baccalauréat en génie mécanique, M. Hébert, lui, a complété un baccalauréat en génie chimique. Leur partenaire Geneviève Bouffard, quant à elle, a fait des études au baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire. À eux trois, ils forment le trio de copropriétaires de l’Hermite.
« Le fait d’être ingénieur, c’est un gros plus dans notre domaine. Nous avons optimisé notre production comme peu de microbrasseries ont réussi à le faire. Par exemple, nous avons fait passer la cadence de notre encanneuse de 35 à 47 cannettes par minute. Elle ne peut pas aller plus vite ! Nous pouvons aussi fabriquer nous-mêmes (et à moindre coût) de l’équipement qui se vend habituellement très cher. Et quand il y a un bris quelque part, nous n’avons pas besoin d’appeler quelqu’un ; nous sommes capables d’effectuer les réparations », indique M. Lefebvre.
« Comme la plupart des brasseurs du Québec, je me suis autoformé. J’ai lu la bible de l’ingénieur-brasseur de l’Allemagne, mais ma formation en ingénierie m’a aidé à comprendre certaines subtilités techniques. J’ai acquis certaines méthodes, certaines connaissances que d’autres brasseurs n’ont pas nécessairement. Cela nous a permis de faire nos propres calculs, et de monter nous-mêmes notre brasserie », renchérit M. Hébert.
Si les deux ingénieurs assurent les portions plus opérationnelles de l’entreprise, le plancher du pub, lui, est laissé aux bons soins de Mme Bouffard.
« Pour ma part, je m’occupe davantage des volets gestion et restauration. J’ai travaillé dans ce domaine pendant de nombreuses années, alors j’ai pu mettre mon expérience à profit quand nous avons lancé l’Hermite. Les gars avaient surtout développé l’aspect brasserie, alors mon champ d’expertise s’est révélé très utile dans la mise en place du pub. J’y mets beaucoup d’énergie encore aujourd’hui ! », témoigne-t-elle.
Une signature environnementale
Quand on visite l’Hermite, on se rend compte que les copropriétaires ont fait un travail remarquable pour intégrer l’environnement à l’ADN de la microbrasserie. Que ce soit dans le menu, la gestion ou l’approvisionnement, tout a été pensé pour limiter l’empreinte écologique du commerce.
« Nous avons beaucoup de fournisseurs locaux, ce qui nous permet à la fois de limiter le transport et de favoriser l’économie régionale. Nous avons aussi intégré le compost, donc nous sommes pratiquement une entreprise zéro déchet. De plus, nous sommes en train d’aménager une serre au sous-sol pour produire une partie de nos légumes. Depuis quelques années, nous avons un engouement pour nos options végétariennes et véganes, alors la serre va nous permettre de développer davantage notre offre », souligne Mme Bouffard.
« L’achat local fait partie de nos valeurs, et il y a plein de choses que nous pouvons optimiser pour réduire notre impact sur l’environnement. Il y a toujours un travail d’éducation à faire, mais nous voulons montrer l’exemple », complète M. Lefebvre.
Si l’ajout d’un mur solaire constitue la dernière mesure introduite à ce jour, plusieurs choix écoresponsables ont également été faits en ce qui concerne la production de bière.
« Quand nous avons commencé, il n’avait pas beaucoup d’endroits dans la région qui produisaient du houblon. Mais de plus en plus, nous intégrons des grains locaux à nos recettes. Nous avons aussi changé notre fournisseur de levures au profit de producteurs du Québec. Nous nous approvisionnons dans des entreprises d’ici, et nous sommes extrêmement satisfaits », assure M. Hébert.
L’Université, un lieu de rencontre déterminant
Pour les deux gars de l’Hermite, le choix d’étudier en ingénierie allait de soi. M. Lefebvre reconnaît avoir toujours été patenteux : plus jeune, il se fabriquait déjà des tacots et des « campes » dans les arbres. Dans le cas de M. Hébert, c’était la suite logique d’un parcours déjà bien entamé.
« J’ai un intérêt pour tout ce qui est mathématiques, chimie et physique. Pour mon parcours collégial, je me suis donc dirigé vers le programme de technologies des pâtes et papiers. Quand j’ai commencé ma formation au tournant des années 2000, il y avait beaucoup de perspectives d’emplois. Malheureusement, Internet a rapidement fait plonger le domaine. Malgré cela, j’aimais beaucoup ce que je faisais, alors j’ai poursuivi en génie chimique à l’UQTR. Pour moi qui aime tout ce qui touche les procédés chimiques en usine, c’était le programme idéal », se souvient-il.
La suite des choses s’avère cependant moins rose : au moment où M. Hébert obtient son diplôme, le marché de l’emploi se retrouve confronté à la crise financière de 2008. Le diplômé passe alors quelques mois en recherche d’emploi, avant d’obtenir des postes fragiles dans les domaines du papier et du génie électrique. Éventuellement, il revient à l’UQTR pour entamer une maîtrise en sciences de l’énergie et des matériaux. C’est là qu’il rencontre M. Lefebvre, qui deviendra par la suite son partenaire d’affaires.
« J’étais au doctorat en sciences de l’énergie et des matériaux, et avec William, nous avons commencé à travailler sur un projet d’entreprise en énergies renouvelables. Sauf que cette initiative-là n’a jamais abouti. Nous avons donc commencé à réfléchir au démarrage d’une entreprise dans un autre domaine », évoque M. Lefebvre.
« Dans ses temps libres, Marc brassait de la bière, et je m’intéressais beaucoup à tout ce qui touchait la production. À un moment donné, il a lancé à la blague que nous pourrions ouvrir une microbrasserie ; mais petit à petit, nous avons constaté que c’était une avenue prometteuse. Cette idée me plaisait beaucoup, parce que je rêvais d’avoir et d’opérer une usine. Nous avons donc commencé à monter un plan d’affaires », ajoute M. Hébert.
Par la suite, le chemin des deux ingénieurs a croisé celui de Mme Bouffard, qui avait dans ses cartons un projet similaire.
« J’avais commencé mon baccalauréat à l’UQTR, mais à la fin vingtaine, je me suis retrouvée en réorientation. À l’époque, j’avais comme projet d’ouvrir une microbrasserie avec mon conjoint et ses amis (qui ne sont pas mes partenaires actuels), mais ça n’a jamais fonctionné. J’ai donc repris mes études universitaires, et c’est à ce moment que j’ai rencontré Marc et William. Je me suis mise à les aider dans leur projet de microbrasserie, et j’ai fini par me joindre à eux. À partir de là, je me suis consacrée à l’entreprise à temps plein », raconte-t-elle.
Un emplacement flambant neuf
En juin dernier, l’Hermite a déménagé son pub un peu plus bas sur la rue Notre-Dame Est. Profitant toujours d’une place de choix au centre-ville de Victoriaville, les nouveaux lieux ont permis aux copropriétaires d’apporter d’importantes améliorations.
« Notre nouveau local est beaucoup plus grand que notre ancien pub. C’est aussi mieux climatisé : il fait plus frais en été et plus chaud en hiver. Sur le plan de la décoration, nous avons installé un système de brasse à l’intérieur, afin que les gens puissent voir l’équipement de près. Bref, c’est pas mal mieux que c’était », affirme M. Lefebvre.
« On est complètement ailleurs. Dans l’ancien pub, nous avions à peine 100 places assises, donc nous avions de la difficulté à répondre à la demande de la clientèle. Notre terrasse était minuscule, alors c’était un problème avec le tourisme de la période estivale. Maintenant, nous avons l’équivalent de notre ancien local juste en terrasse, en plus d’avoir une seconde terrasse sur le toit ! », s’exclame Mme Bouffard.
Quant à M. Hébert, il est d’avis que ce nouvel environnement aura un impact positif sur la perception de la clientèle.
« Il y a une partie de l’appréciation d’une bière qui dépend de l’environnement dans lequel on la boit. Je pense que notre nouveau restaurant va favoriser les impressions positives. Je suis fier des produits que nous créons ; nous y mettons beaucoup de temps et d’énergie. Et maintenant que nous avons un des beaux emplacements à Victoriaville, nous allons partager et cultiver cette fierté », conclut M. Hébert.