Le moins que l’on puisse dire, c’est que Lauriane Thibault s’est distinguée au dernier Concours d’affiches scientifiques de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). En effet, l’étudiante à la maîtrise en science de l’environnement a remporté trois prix (Prix du doyen en sciences naturelles et génie, Prix développement durable, Prix Julian-Gruda) qui venaient avec des bourses totalisant 1 750 $. Si son affiche intitulée Cultivation de microalgues avec des effluents gazeux d’une cimenterie afin de réduire les gaz à effet de serre a su capter l’attention du jury, il y a fort à parier que ses talents de vulgarisatrice lui auront permis de se distinguer également.
En effet, les participants ne sont pas seulement évalués sur les propriétés visuelles de leur affiche, mais également sur la capacité à expliquer les grandes lignes de leur travail dans un langage clair, avec une attitude proactive et une grande faculté à répondre aux questions.
C’est donc à cet exercice que NÉO UQTR a convié Lauriane Thibault dans la semaine suivant la remise des prix afin de faire découvrir à nos lecteurs sa recherche sur la culture des microalgues soumises aux effluents gazeux des cimenteries. Le projet marque l’imaginaire, tout en s’inscrivant dans une problématique très actuelle, soit la lutte aux gaz à effet de serre.
Des cibles à atteindre
Avec l’objectif d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, que le Canada s’est fixé, ces industries devront trouver des solutions pour réduire leurs émissions atmosphériques. Lorsqu’on sait qu’elles sont responsables de plus de 11 % des émissions de CO2 au Québec, on comprend que le défi est important. Des chercheurs de l’UQTR, dont le professeur Simon Barnabé, travaillent déjà depuis un certain temps à la valorisation des CO2 grâce aux microalgues. En sachant qu’elles peuvent fixer le carbone, ces micro-organismes aquatiques pourraient peut-être s’avérer une solution pour l’industrie du ciment et de la chaux afin de réduire leur empreinte écologique. De plus, la biomasse récoltée pourrait servir à la fabrication de biocarburant pour alimenter l’usine en énergie, ou de produits à valeur ajoutée comme des aliments ou des emballages.
C’est la possibilité qu’a explorée Lauriane Thibault dans le cadre d’un cours d’initiation à la recherche à la fin de son baccalauréat en sciences biologiques et écologiques et qu’elle a présentée au public dans le cadre du Concours d’affiches scientifiques 2023.
Des résultats étonnants
On a donc reproduit en laboratoire la composition typique des effluents gazeux rejetés par une cimenterie, contenant entre autres du dioxyde de carbone (CO2) et des oxydes d’azote et de soufre, avant de les injecter dans une culture de microalgues durant une période de sept jours dans un photobioréacteur.
« Mon premier objectif était de savoir comment ces gaz allaient affecter la croissance des algues », explique Lauriane.
Tous les jours, elle prélevait un échantillon afin de réaliser un décompte cellulaire au microscope et évaluer la croissance des microalgues soumises aux effluents gazeux.
À titre comparatif, on a également réalisé l’expérience avec deux autres compositions gazeuses différentes sur le même nombre de jours, afin de se donner une variable contrôle. En effet, l’étudiante a également soumis une deuxième culture de microalgues à des injections d’air ambiant enrichi de CO2 avant de répéter l’expérience une troisième fois, mais seulement avec de l’air ambiant.
Les microalgues soumises aux effluents gazeux ont non seulement produit des cellules, mais ce sont celles des trois cultures qui ont donné les meilleurs résultats.
« On ne s’attendait pas à ça ! Les oxydes d’azote et de soufre sont des gaz acidifiants qui peuvent venir stresser les microalgues au point d’en empêcher la croissance, mais c’est comme si ça leur avait fourni des éléments nutritionnels qu’on ne retrouvait pas dans les autres cultures. »
Toutefois, puisque l’expérience a été réalisée sur seulement deux photobioréacteurs à la fois, impossible de compiler des statistiques d’un point de vue scientifique pour l’instant. Un nombre de trois au minimum serait alors nécessaire pour y arriver.
« Ça nous démontre tout de même une tendance », précise Lauriane Thibault.
En effet, la suite de l’expérience démontre que la piste est fort prometteuse.
Une utilisation optimale du carbone
Les microalgues injectées aux gaz simulés ont également démontré une meilleure efficacité à fixer le carbone que les deux autres cultures. Il semble que les gaz simulés aient eu un impact positif sur la capacité de capture du CO2 des microalgues. En effet, Lauriane Thibault a découvert grâce à différents calculs que les microalgues injectées aux gaz simulés produisaient davantage de biomasses que les deux autres cultures, même si la quantité de CO2 reçue par celles-ci était plus volumineuse. Ce fut une autre surprise très encourageante pour la poursuite des recherches et qui a déjoué les prévisions de l’étudiante encore une fois. En effet, Lauriane avait surestimé les capacités de captation de CO2 des deux tests de contrôle, alors qu’elle avait sous-estimé celles soumises aux effluents gazeux de la cimenterie. La simulation des effluents gazeux a donc stimulé la fixation du CO2, nécessaire à la production de biomasse algale.
Une composition biochimique identique
Au terme de son expérience en laboratoire, Lauriane a procédé à l’analyse de la biomasse des trois cultures de microalgues. Elles contenaient approximativement toutes le même pourcentage de protéines et de lipides avec un profil d’acides gras majoritairement polyinsaturés, soit des oméga-3 et des oméga-6.
Cette composition biochimique permet d’imaginer une gamme de produits à valeur ajoutée qui pourrait être créée en récupérant les effluents gazeux, plutôt que de les laisser s’échapper dans l’atmosphère.
La présence de protéines, ainsi que d’oméga-3 et d’oméga-6, serait une avenue intéressante pour l’alimentation, même si c’est encore à prendre avec des pincettes selon Lauriane.
« Ça reste des gaz dangereux. Il faudrait faire des tests supplémentaires. »
La présence d’une quantité significative de lipides pourrait également produire du biocarburant. Si celui-ci est ensuite utilisé comme combustible pour la cimenterie, dans une logique d’économie circulaire, le concept commence alors à faire rêver.
« Il reste encore beaucoup de travail à faire pour arriver là », précise cependant Lauriane.
Techniquement, les cimenteries devraient aménager des bioparcs à proximité de leurs usines et acheminer les effluents gazeux avec l’aide de tuyaux. Étant donné que ces gaz sont très chauds, des refroidisseurs, voire des condensateurs seraient nécessaires pour faciliter l’injection. Mais ici, nous sommes davantage dans un projet destiné aux études de génie. Lauriane s’est plutôt penchée sur les principes biologiques du projet.
Une performance digne de mention
Fait notable à souligner, ce projet s’inscrivait dans le cadre d’un cours de baccalauréat. Nouvelle étudiante au deuxième cycle, Lauriane Thibault a donc présenté son travail au milieu des doctorants sans se douter un instant qu’elle connaîtrait un tel succès au terme du Concours d’affiches scientifiques.
« On m’avait convoqué pour la remise des prix, mais je ne m’attendais pas à en recevoir trois ! », répond bien humblement la résidente de Sainte-Angèle-de-Laval avec un large sourire.
Très intéressée par la vulgarisation, Lauriane aimerait peut-être enseigner au cégep ou travailler dans un laboratoire au terme de ses études.
« J’ai encore du temps pour y penser. »