Le brassage est une pratique qui demande du temps. Avant d’obtenir une bière digne de ce nom, la fermentation doit faire son œuvre pendant plusieurs semaines. Et pour les plus téméraires, qui décident carrément de se lancer en affaires, mieux vaut ne pas commencer à compter ses heures. Pourtant, cette mobilisation ne semble pas trop déranger les fondateurs de Flore Sauvage. Ici, la patience est une vertu. Pas besoin de regarder la pendule : c’est le temps qui travaille pour eux !
Située en plein cœur du quartier Sainte-Flore à Shawinigan, la microbrasserie a élu domicile dans une maison centenaire. À l’intérieur, Mathieu Fortin s’affaire à diverses tâches préparatoires ; c’est que Flore Sauvage n’a pas encore ouvert ses portes. Heureusement, le travail de longue haleine qu’il poursuit avec ses comparses devrait leur permettre d’accueillir une clientèle sous peu. D’ailleurs, le diplômé du baccalauréat en biochimie et biotechnologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a très hâte de faire découvrir aux amateurs des saveurs distinctives.
« Je pense que ce qui nous distingue, c’est notre aspect profondément local. Tous nos ingrédients proviennent d’emplacements à proximité, y compris les microorganismes qui nous aident à faire de la bière. Nous sommes même allés jusqu’à récolter notre levure dans la nature environnante ! C’est ce qui va donner un profil particulier à nos bières, qui sera propre à nous », indique-t-il.
En tant que responsable des procédés et assistant de production, Mathieu doit notamment s’occuper des ferments. Son approche va toutefois beaucoup plus loin, et se démarque par sa méticulosité. Si on lui demande de travailler avec un légume ou un fruit, il va jusqu’à chercher les microorganismes qui sont dessus. En ce sens, son travail demeure largement instinctif.
« Comme nous faisons de la fermentation sauvage, nous utilisons ce que nous avons sous la main. Or, cela donne parfois des résultats inattendus. Il y a quelque temps, nous avons obtenu une consultation en laboratoire. Cela nous a permis de déterminer exactement quels microorganismes se retrouvent dans nos produits. Nous avons des souches de Saccharomyces et de Lactobacillus qui sont très peu répertoriées dans la fabrication de bière. Elles auraient été identifiées dans des moûts de raisins en Espagne, mais nous, nous avons trouvé ça ici, juste à côté. C’est un bel exemple qui illustre comment un processus instinctif peut rapidement devenir concret », raconte le diplômé.
Bien qu’il mentionne avec humilité que la façon de faire de Flore Sauvage n’est pas unique au monde, Mathieu estime que le travail en cours à la microbrasserie donnera lieu à des saveurs très intéressantes. C’est d’ailleurs avec une pointe de fierté qu’il décrit le processus.
« Comme nous fabriquons notre bière avec des produits sauvages, ça demande un peu plus de temps de fermentation, soit de 2 à 6 mois. Il faut dire que toutes nos bières sont refermentées en bouteilles. Lorsque la fermentation primaire est complétée dans la cuve, nous embouteillons la bière sans la filtrer, et sans la pasteuriser. La levure reste donc dans la bouteille, ce qui fait qu’au fil du temps, la bière change. C’est aussi ce qui crée la carbonatation ; contrairement à d’autres, nous n’avons pas besoin d’injecter du CO2 dans la bière, puisque ce sont les microorganismes qui créent le pétillant », explique-t-il.
« C’est un produit qui évolue beaucoup, si bien qu’après un certain temps, le goût est complètement différent. C’est un peu comme le vin : plus on laisse la bière fermenter, plus son profil change. Quand est-elle à son meilleur ? Ça, ça dépend des préférences du consommateur ! Bien sûr, les gens nous demandent parfois comment nous pouvons avoir un standard avec un tel procédé. C’est vrai que d’un lot à l’autre, la bière ne sera pas tout à fait identique. Inutile de s’inquiéter, cependant : les amateurs devraient quand même être en mesure de la reconnaître. Reste que les maîtres ici, ce sont les microorganismes. Et honnêtement, nous aimons ça comme ça. Ce n’est pas un hasard si les bières sauvages sont à la base de notre inspiration. Nos méthodes s’apparentent à des styles comme le lambic, la gueuze ou la farmhouse. Nous pensons que la demande est là pour un produit unique de ce genre », ajoute Mathieu.
Un heureux mélange des genres
Fait intéressant, Mathieu ne travaille pas seulement dans le domaine brassicole ; il est aussi musicien. Si cette sphère a toujours occupé une place importante dans sa vie, il a quand même pris soin de se garder un plan B. Alors qu’il poursuit des études en sciences de la nature au cégep, il se découvre un intérêt particulier pour la chimie et la biologie. Ce n’est donc pas un hasard s’il choisit éventuellement de s’inscrire en biochimie et biotechnologie, un programme universitaire qui le stimule.
« Le baccalauréat nous montre beaucoup de choses. Il m’a aidé à comprendre la chimie du vivant, ainsi qu’à utiliser les microorganismes comme ouvriers. Pendant mes études, j’ai acquis un langage, une pratique, des méthodes, mais surtout une capacité à trouver et à comprendre l’information. Ça m’a donné une base, mais j’ai aussi réalisé qu’il restait beaucoup de recherche à faire une fois en emploi. Quand j’ai obtenu mon diplôme, je n’étais pas prêt à faire de la bière. Heureusement, j’ai pu m’appuyer sur ce que j’avais vu dans le programme pour m’aider à m’adapter », souligne-t-il.
Une fois ses études complétées, le diplômé est retourné à la musique. Il connaît alors un certain succès : en plus d’enseigner, il décroche plusieurs contrats musicaux. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il fait la rencontre de David Côté, qui l’invite à découvrir la bière artisanale qu’il prépare chez lui. Amateur de ce type de produit, Mathieu accepte de bon cœur, sans se douter que les choses allaient ensuite débouler.
« David m’a dit qu’il voulait pousser son projet un peu plus loin. Or, ça ne se voulait pas un projet entrepreneurial ! Au fil du temps, j’ai appris beaucoup de choses grâce à cette rencontre. Nous avons fini par avoir quelques résultats intéressants, et à un moment donné, nous nous sommes dit que nous pourrions peut-être nous lancer en affaires pour de vrai. L’effet boule de neige s’en est suivi : nous avons été mis en contact avec Stéphanie Forcier, qui s’occupe aujourd’hui de nos ventes et de la mise en marché. Alors voilà, le plan B est devenu le plan A ! », résume-t-il.
Le fait d’être issus du milieu culturel teinte aussi beaucoup la philosophie des trois fondateurs de Flore Sauvage. Contrairement aux producteurs industriels, les procédés de la microbrasserie passant avant tout par la culture locale, l’expérimentation, le plaisir et les besoins créatifs. Bien que Mathieu apprécie la stabilité que lui apporte son métier, il confie qu’il n’a pas choisi cette voie pour l’aspect financier, mais bien parce qu’il trouve le projet stimulant.
Partager avec la communauté
En amenant une microbrasserie à Sainte-Flore, l’intention des trois propriétaires est de tisser des liens avec la communauté. David Côté, responsable de production et brasseur, relève d’ailleurs que la proximité est un concept central pour le groupe.
« C’est certain que nous voulons recevoir, et faire des dégustations. Les gens pourront assurément consommer nos produits sur place dans un avenir rapproché. Nous voulons leur parler de nos bières, et partager avec eux la passion qui nous anime. On nous questionne beaucoup sur nos éléments distinctifs, et je pense que ça démontre un intérêt envers nos processus, qui sont effectivement particuliers. Quoi qu’il en soit, ça va nous faire plaisir de satisfaire leur curiosité », affirme-t-il.
En guise de conclusion, Mathieu précise que la volonté n’est pas de convertir l’endroit en pub. Il explique que la clientèle visée n’est pas celle des grands groupes de type party de bureau. Flore Sauvage s’inscrit plutôt dans une approche de tourisme bucolique, où des groupes plus restreints voudraient allier dégustation et discussion avec le personnel sur place.