Comme pour beaucoup pendant le confinement, Simon Coroller et Corentin Flinois ont trompé l’ennui et l’isolement en jouant aux jeux vidéo. Mais ce passe-temps n’a probablement pas débouché sur la publication d’un article scientifique chez la majorité. Pour les deux étudiants, c’est désormais chose faite.
Du divan à la publication scientifique
En 2020, les deux amis partent effectuer un stage à l’étranger pour compléter leur maîtrise amorcée en France. L’un s’envole vers Mallorca (île espagnole en mer méditerranée), l’autre, vers l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Mais la pandémie bloque tout : aussitôt arrivés, aussitôt confinés.
Pour rester connectés, ils décident de jouer à un jeu vidéo sorti au même moment, Animal Crossing: New Horizon, cinquième opus de la franchise du même nom et grand succès du géant NintendoMD (lire encadré). « Et si le fait d’y jouer permettait d’entraîner ses capacités d’identification de la faune et de la flore dans la vie réelle ? », se demandent les deux étudiants. Ce qui partait d’une simple plaisanterie entre amis a débouché sur la publication d’un article scientifique dans la revue Ecosphere, en mars 2023.
En bref : oui, les joueurs d’Animal Crossing ont effectivement une facilité à reconnaître les animaux collectionnés dans le jeu dans la vie réelle, surtout les insectes et les poissons. « Quand on trouve un animal ou un fossile dans le jeu, une fiche apparaît avec son nom [commun] et un jeu de mots. Et donc, on se disait qu’à force de les attraper, les joueurs devaient s’en souvenir, au moins pour les espèces communes », expose Corentin.
Pour mettre en lumière ces résultats, les auteurs s’appuient sur les scores d’un quizz partagé en français sur la toile et rempli par 200 répondants. Et ils en dégagent des nuances intéressantes. Même si les joueurs reconnaissent mieux les animaux en photos dans le quizz en comparaison des non-joueurs, la relation s’inverse pour les plantes. En cause, le phénomène de « cécité des plantes », ou Plant Blindness en anglais, déjà connu dans l’espace médiatique et souligné dans plusieurs recherches scientifiques. « Dans les grandes campagnes de conservation, on ne voit presque jamais de plantes », illustre Corentin. De manière similaire, les jeux vidéo présentent souvent les plantes comme un décor d’arrière-plan. Autre élément notable, une erreur de traduction entre les versions françaises et anglaises de la licence a induit les joueurs en erreur au moment d’identifier la mygale à pattes noires, nommée à tort « tarentule » dans le jeu.
Jouer pour sensibiliser ?
De prime abord, le jeu Animal Crossing ne possède pas une vocation éducative. « Je dirais même que certains mauvais exemples y figurent, comme le fait de rapporter des espèces exotiques dans sa propre île », explique Simon. La vision du jeu est basée sur la valeur pécuniaire des espèces collectionnée, mentionne également Corentin, lesquelles sont disponibles à l’infini. Une situation bien loin de la réalité quand on connaît l’impact des activités humaines sur la biodiversité planétaire. Malgré tout, il est plus facile de protéger les espèces qu’on reconnaît, s’accordent à penser les deux amis. Et en ce sens, leur étude prouve que le jeu peut aider, même si sa vocation est avant tout reliée au divertissement.
À l’inverse, certaines applications numériques à visée éducative empruntent des mécaniques de jeu pour rendre leur utilisation plus ludique, comme Seek ou Merlin.
Une idée pas si folle
Pour mener à bien ce projet effectué en marge de leurs études et de leurs boulots étudiants, Simon et Corentin ont fait campagne pour réunir l’argent nécessaire à la publication. Comme Nintendo ne s’implique pas dans les recherches menées sur ses propres jeux vidéo, les étudiants réunissent la somme requise en participant à des concours et en mettant à contribution leurs équipes de recherche actuelles. En effet, MM. Flinois et Coroller sont aujourd’hui doctorants, le premier à l’Université du Québec à Trois-Rivières dans le laboratoire du professeur Andrea Bertolo, le second à l’Université de Sherbrooke dans le laboratoire du professeur Marc Bélisle.
« Cette idée loufoque a fait rigoler beaucoup de monde, dont Corentin et moi-même. Nous ne nous serions jamais doutés qu’après plus de 7 ans d’études en biologie, notre première contribution scientifique et publication porterait sur cette licence de jeu vidéo à laquelle nous jouions déjà tout jeune », termine Simon, qui ne regrette en rien le chemin parcouru.
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