Six générations se côtoient aujourd’hui sur le marché de travail : des traditionalistes jusqu’aux alpha, en passant par les baby-boomers, les X, Y et Z. « Cette cohabitation peut avoir de grands avantages pour une organisation, par exemple apporter de la variété dans les idées, générer de l’innovation et renforcer les liens avec la clientèle. Mais encore faut-il savoir bien gérer et intégrer cette cohabitation entre les générations, parce qu’il subsiste des stéréotypes et des préjugés qui peuvent potentiellement produire des conflits », affirme d’emblée Caroline Chevrier, doctorante en sciences biomédicales à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Ergothérapeute de formation, la jeune femme s’intéresse aux pratiques qui favorisent la coopération intergénérationnelle au travail (CIT), le noyau central dans ses recherches. « À partir d’une méthode d’analyse de concept, nous avons voulu mieux cerner ce que signifie la CIT et en proposer une définition pour aider les organisations à intégrer cette dimension dans la vie au travail », souligne celle dont la thèse est codirigée par les professeures Alexandra Lecours et Marie-Michèle Lord du Département d’ergothérapie de l’UQTR.
Pour Caroline Chevrier, la CIT se définit comme l’atteinte d’une cohésion sociale au sein d’équipes intergénérationnelles engagées vers un but commun, à travers leurs interactions, le partage de leurs savoirs, l’entraide, la compréhension et l’acceptation de leurs différences, dans un processus de changement intentionnel soutenu par l’organisation. La CIT implique ainsi l’inclusion de toutes les générations dans un contexte de travail sain qui promeut l’équité, la confiance et le respect. Elle nécessite l’implication de l’ensemble des acteurs qui doivent être convaincus de son importance
Diminuer le risque de conflits intergénérationnels
Dans un contexte où les travailleurs vieillissants prolongent leur vie active, que certains reviendront sur le marché du travail après un départ à la retraite, et que la pénurie de main-d’œuvre force aussi les organisations à recruter des employés plus jeunes, on remarque de plus en plus une cohabitation des deux extrêmes générationnels, qui doivent apprendre à travailler ensemble.
« Il existe encore beaucoup de préjugés et stéréotypes qui génèrent des perceptions envers les différentes générations. Lorsque mal gérée, cette cohabitation peut conduire à des incompréhensions, des désaccords, des rivalités par rapport aux ressources de l’entreprise ou à des tensions qui augmentent le risque de conflits intergénérationnels », avertit la chercheuse en mettant l’accent sur l’importance de créer un climat sain et bienveillant pour éviter la discrimination basée sur l’âgisme. En ce sens, la mise en place de programmes basés sur la CIT peut avoir des effets bénéfiques sur la santé physique, psychologique et cognitive, notamment des personnes vieillissantes.
Créer un contexte organisationnel favorable
L’organisation est au premier plan de la CIT en installant un environnement de travail où les générations peuvent s’épanouir professionnellement en harmonie. « L’organisation et ses dirigeants doivent mettre l’accent sur l’inclusion et l’équité générationnelles dans la gouvernance de la gestion des ressources humaines, en faisant ressortir à travers les valeurs et les stratégies organisationnelles les aspects de collaboration, de confiance et de respect entre les générations », soutient Caroline. Par exemple, le transfert des connaissances, important pour permettre à l’entreprise de perdurer et rester compétitive, se matérialise à travers des formes de tutorats et de mentorats bidirectionnels, c’est-à-dire que non seulement le travailleur plus âgé transmet ses connaissances, mais aussi la nouvelle recrue divulgue les savoirs qu’elle a acquis sur les bancs d’école.
Dans les équipes, les gestionnaires doivent valoriser le travail intergénérationnel orienté sur un objectif commun en vue de motiver le partage des connaissances. La chercheuse précise : « Le fait de créer des opportunités de communication plus fréquentes permet de faire diminuer les stéréotypes et les préjugés, de construire une solidarité intergénérationnelle et de bâtir une cohérence dans l’équipe, ce qui contribuera à la réduction des conflits. »
Le travailleur lui-même doit aussi reconnaître l’importance de sa propre contribution et de celle de ses collègues au bon fonctionnement de l’équipe de travail et de l’organisation. La personne doit prendre part au projet d’entreprise, être motivée à contribuer à l’équipe et faire preuve de maturité émotionnelle.
Des gains pour l’organisation
Caroline Chevrier espère que les organisations pourront intégrer ce concept de coopération intergénérationnelle au travail et en voir les retombées : « Il faut prendre le temps de s’ouvrir au concept de CIT et de voir l’importance qu’il puisse acquérir dans l’organisation, et les répercussions positives sur l’innovation et le climat. Au final, l’organisation fera des gains sur sa performance, son attractivité et la rétention du personnel. »