On dit souvent qu’il faut conserver la diversité, oui, mais la diversité de quoi ? On suppose généralement que l’on parle de la diversité en espèces, mais celle-ci est souvent difficile et coûteuse à mesurer sur le terrain. Alors, imaginons que nous voulons identifier les zones à haute valeur écologique en amont des nombreux développements associés à la Vallée de la transition énergétique sur l’ensemble du territoire affecté. Bonne chance ! Heureusement, il existe de nouveaux indicateurs plus simples à mesurer à grande échelle et qui sont également plus intégrateurs dans la mesure où ils intègrent la diversité en espèces, mais également la diversité en termes de type d’habitats et de processus écologiques (services écologiques). Dans une étude récente (présentement sous presse à Trends in Ecology and Evolution), notre équipe de recherche a développé une méthode qui permet d’utiliser l’un de ces indicateurs pour identifier directement des sites à haute valeur potentielle de conservation.
Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Éric Harvey, professeur au Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Trop c’est comme pas assez
On estime généralement qu’un total de 25 éléments chimiques est nécessaire à la vie. Parmi ceux-ci, on retrouve le carbone (C), l’azote (N) et le phosphore (P), qui sont certainement les trois éléments les plus étudiés en écologie. Par exemple, l’azote et le phosphore ont beaucoup été étudiés dans le contexte de l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques. Étant donné que ces éléments sont nécessaires à la vie, leur distribution spatiale dans le paysage va nécessairement influencer également la distribution des organismes vivants. Comme chaque espèce à des besoins physiologiques particuliers (certaines sont plus limitées par la présence de phosphore, d’autres par celle de calcium, etc.), alors on peut imaginer que la diversité en éléments chimiques va influencer la diversité en espèces. Par exemple, si l’on a du phosphore en surplus par rapport aux autres éléments, on s’attendra à ce que seulement quelques espèces opportunistes pour cet élément dominent cet environnement. Si vous suivez bien le raisonnement, cela veut dire que pour optimiser la diversité biologique, mieux vaut une mosaïque hétérogène qu’une distribution homogène des mêmes éléments partout. Cette mosaïque dans la distribution des éléments est essentielle au maintien d’une diversité biologique à l’échelle du paysage.
Être unique c’est contribuer plus à la diversité
Imaginez un paysage agricole dominé fortement par la présence de phosphore et d’azote dans les sols et qu’un seul endroit de quelques dizaines de mètres carrés dans cette matrice agricole présente au contraire une forte concentration relative de calcium et magnésium, vous serez probablement d’accord que cet endroit contribue de manière très importante à la diversité en éléments du paysage (qui autrement serait très homogène). Il s’agit fort probablement d’un endroit qui est également caractérisé par une structure écologique unique par rapport au reste du paysage (végétation, organismes présents, services écologiques, etc.). Cet endroit pourrait même servir de site à usage particulier pour certaines espèces qui se déplace dans ledit paysage. Vous aurez bien entendu compris que cet exemple est plutôt extrême, mais la méthode que nous avons développée fait exactement cela. Elle analyse le paysage de manière à identifier les endroits qui contribuent le plus significativement à cette mosaïque d’éléments dans le paysage. Ces sites peuvent ensuite devenir, par exemple, des nœuds importants à l’intérieur d’un réseau de conservation et de maintien de la connectivité écologique.
Les espèces ne sont pas des acteurs passifs des changements globaux
On perçoit souvent les organismes vivants comme étant des acteurs passifs faisant face aux grandes transformations actuelles (changements globaux) qui sont intimement reliées aux cycles des éléments (carbone et phosphore, tout particulièrement). On a en effet longtemps supposé que la distribution spatiale des éléments était contrôlée par des facteurs strictement abiotiques tels que la géologie (ex. sédimentation de la matière organique générant des sources de phosphore), la gravité (ex. écoulement le long d’un bassin versant) et le vent (ex. feuilles poussées par le vent). Or les études récentes démontrent à quel point les organismes vivants eux-mêmes jouent un rôle important dans le maintien des grands cycles élémentaires à l’échelle planétaire comme aux échelles plus locales, en déplaçant de grandes quantités d’éléments. Par exemple, on a estimé que par le passé les oiseaux marins et les poissons anadromes (ex. saumons) ont déplacé jusqu’à 146 millions de kilogrammes de phosphore par année de l’océan vers la terre. Ce phosphore a ensuite été distribué en moyenne sur 180 000 km2 par année par les herbivores terrestres. À une échelle plus locale, comme notre approche consiste à identifier les sites qui contribuent le plus à la mosaïque d’éléments, il serait également pertinent de tenter de comprendre si la cause de cette mosaïque est purement abiotique ou reliée aux mouvements d’organismes dans le paysage. Si le site identifié présente des caractéristiques uniques à cause d’une population d’orignaux qui utilise le site pour se nourrir (ou déféquer des éléments !), il sera important de préserver ce vecteur de transfert d’énergie également ! Nous avons donc développé une approche statistique qui permet d’inférer les processus qui expliquent la mosaïque expliquée. Cet outil permet donc de réfléchir le maintien de notre mosaïque de diversité (abiotique, biotique) à l’échelle pertinente de manière à bien cibler les actions ainsi que les cibles de conservation.
Conclusion
Notre étude démontre qu’il est relativement simple, à l’aide de nouvelles méthodes analytiques, de générer des cartes d’éléments chimiques. Par la suite, nous développons également un cadre d’analyse qui permet d’identifier des sites à hautes valeurs de conservation. Notre étude permet également d’émettre des hypothèses sur les causes des émergences des mosaïques d’éléments observées, mais ces hypothèses nécessitent encore une validation terrain qui devrait être effectuée lors d’études futures.
Pour en savoir plus :
McLeod, A. M., Leroux, S., Little, C. L., Massol, F., Vander Wal, E., Wiersma, Y. F., Gounand, I., Loeuille, N., & Harvey, E. (2024). Quantifying elemental diversity to study landscape ecosystem function. Trends in Ecology & Evolution. https://doi.org/10.1016/j.tree.2024.09.007