Les couloirs d’une école primaire du Québec deviennent l’écho d’une musicalité émanant des salles de classe. Derrière des portes qui laissent s’échapper diverses sonorités, des élèves comptent au rythme d’un tambour, récitent des mots au son d’une mélodie, apprennent à écrire en chantant une comptine. « Loin d’être un simple divertissement, la musique peut agir comme un catalyseur pour l’apprentissage des matières comme le français et les mathématiques », lance Andrée Lessard, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Âme de musicienne et esprit de chercheuse, celle-ci joint ses deux passions – la musique et les sciences de l’éducation – pour orchestrer une musicalité à la pédagogie. Pour elle, la musique éveille les sens, libère l’imagination, transcende les cultures et stimule l’apprentissage. Les bienfaits généraux dans la pédagogie se traduisent par la diminution du stress, l’augmentation de la créativité, l’éveil aux émotions, la coopération et la motivation chez les élèves. La recherche démontre aussi que la musique peut contribuer à développer des habiletés plus fines chez les enfants ; par exemple aiguiser la perception auditive, une capacité essentielle pour traiter le langage oral et soutenir l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Mais concrètement, comment s’harmonisent pédagogie et musique ?
Pour stimuler les capacités linguistiques : les chansons enrichissent le vocabulaire et facilitent l’apprentissage des langues.
Pour améliorer la pensée mathématique : l’exploitation de la structure rythmique et des motifs musicaux renforcent les compétences en logique et en résolution de problèmes.
Pour mobiliser les fonctions cognitives : le fait de jouer un instrument en effectuant des tâches musicales simples, comme écouter trois notes et tenter de les reproduire sur un xylophone, permet de développer la perception et la mémoire auditives, qui sont des habiletés nécessaires pour lire et écrire.
Pour réduire le stress et stimuler l’imagination : la création musicale apaise les esprits et offre un espace d’expression libre.
Pour renforcer les compétences sociales : le chant en groupe favorise la coopération et initie des liens entre les enfants.
Pour rassembler les groupes : la musique stimule l’harmonie humaine, a le pouvoir d’éveiller les émotions.
Néanmoins, intégrer la musique dans les écoles n’est pas sans défis.
« Beaucoup d’enseignants généralistes se sentent démunis pour intégrer la musique à leur enseignement, leur formation initiale n’incluant que peu ou pas d’éléments musicaux », observe Andrée Lessard. D’où son idée de créer le cours optionnel La musique au service de l’enseignement destiné aux étudiantes et étudiants de l’UQTR des programmes de baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement au primaire (BEPEP) et de baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale (BEASS).
La professeure-musicienne poursuit : « Si les enseignantes et les enseignants ont une perception de compétence limitée en musique, ils ne seront pas enclins à l’intégrer dans leurs classes même s’ils en connaissent les bienfaits. Je voulais qu’ils soient capables de concevoir des séquences d’enseignement-apprentissage incluant la musique dans différentes disciplines. »
Ainsi, placer la musique au service de l’enseignement, c’est d’abord sensibiliser les futurs enseignants aux bienfaits sur les élèves. C’est ensuite leur permettre de développer des compétences de base, comme suivre une pulsation, reproduire une séquence rythmique et différencier deux mélodies. C’est de les outiller à concevoir des séances d’enseignement incluant la musique et leur faire vivre eux-mêmes les activités.
Et c’est là une des virtuosités de l’approche expérientielle préconisée par la professeure Lessard : « Les étudiants vivent d’abord les activités qui sont conçues pour les jeunes et prennent ensuite un pas de recul pour analyser chaque séquence didactique, par exemple : qu’est-ce qu’ils ont vécu eux-mêmes, quels sont les liens avec le programme de formation, comment cela soutient leur enseignement, quelles émotions ils ont ressenties… »
Intégrer la musique dans son enseignement ne nécessite pas d’être musicien, mais demande néanmoins à l’enseignant de comprendre et d’assimiler certaines notions musicales. En ce sens, il faut différencier l’enseignement de la musique par des enseignants spécialisés et le fait d’intégrer la musique dans des activités d’enseignement de la formation générale. « L’objectif n’est pas que l’enseignant généraliste devienne un musicien professionnel ni un enseignant de musique », précise Mme Lessard.
Celle-ci ajoute : « C’est une question d’approches simples et accessibles. Suivre une pulsation, reproduire des sons ou animer une séquence rythmique sont autant d’exercices qui mobilisent les fonctions cognitives des élèves et permettent d’enseigner autrement. »
C’est donc une note pour l’avenir que nous entonne Andrée Lessard : « Apprendre aux rythmes de la musique, c’est ouvrir un nouveau champ des possibles pour diversifier les approches pédagogiques. En combinant les aspects visuels, auditifs et kinesthésiques, la musique a le potentiel de rejoindre chaque élève, peu importe son niveau scolaire et sa façon d’apprendre. »