À l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Daniel Lepage fait presque partie des meubles. Son impressionnante longévité, de même que sa langue bien pendue, a fait de lui un personnage bien connu. Ayant mené une impressionnante carrière au Service des technologies de l’information, le jeune retraité profite aujourd’hui de la vie. Il la célèbre, même. En tant qu’endeuillé du suicide, il sait combien la beauté de l’existence peut être fragile.
Le 9 avril 2021, le monde de Daniel a basculé. Il apprenait que sa fille, alors hospitalisée dans une unité de psychiatrie, avait commis l’irréparable. Un drame incompréhensible.
« Quelques jours avant son suicide, elle s’était retrouvée en état de psychose. Elle avait même appelé les secours en raison d’idéations suicidaires. Comme proche aidant, j’étais soulagé que les ambulanciers viennent la chercher. Je me disais qu’en étant prise en charge, elle pourrait éventuellement commencer à aller mieux. Je ne m’attendais pas à recevoir quelques jours plus tard l’appel du psychiatre de garde qui m’annonçait le pire », évoque-t-il.
De son propre aveu, cet événement aurait pu le consumer de colère. Il faut dire que Daniel était troublé par les faits. Ça s’était passé à l’hôpital. Le même hôpital où sa fille avait fêté son 26e anniversaire, deux jours plus tôt. Le constat était aberrant.
À force de chercher du sens, il finit cependant par revenir à l’essentiel : il aimait sa fille, d’un amour inconditionnel.
« Audrey-Ann était une jeune femme intelligente. Elle a fait des études supérieures en droit, parce qu’elle voulait défendre la veuve et l’orphelin. D’ailleurs, elle croyait beaucoup à l’approche pro bono. L’altruisme était une valeur importante pour elle, ça l’animait. C’est aussi une valeur qui a fini par m’inspirer », témoigne-t-il.
Une pétition pour un nouveau combat
Cette impulsion pousse Daniel à s’investir dans différents projets visant la santé mentale et la prévention du suicide. Une façon de rendre hommage à sa fille, en quelque sorte. Son plus récent combat concerne les normes de sécurité relatives aux soins des personnes admises dans une unité psychiatrique, et ce, partout au Québec.
« Actuellement, dans les unités psychiatriques des différents établissements de santé du Québec, il y a une disparité dans l’application des mesures en prévention du suicide. Chaque CISSS et CIUSSS établit les mesures à mettre en place de manière autonome, y compris le choix du matériel et des équipements. Cette différence existe en raison des particularités de chaque région. Par exemple, il est possible que certaines mesures appliquées dans le Nord-du-Québec ne soient pas forcément pertinentes à Montréal. Par contre, certaines mesures de prévention devraient être considérées comme de base, sans égard aux spécificités régionales », estime-t-il.
Selon Daniel, l’absence de mesures de base uniformisées amène une certaine incohérence dans le réseau de la santé. En ce sens, il a instigué une pétition demandant au gouvernement du Québec de se pencher sur les mesures appliquées dans les unités de psychiatrie. Il souhaite que le choix du matériel et de l’équipement soit plus éclairé, et appliqué uniformément à l’ensemble du territoire québécois.
« Afin de faire une différence, j’invite les gens à signer la pétition et à la faire circuler sur les médias sociaux. Même si au départ, le geste peut sembler banal, il reste que ça amène une prise de conscience collective. Chaque voix compte. C’est ensemble qu’on peut interpeller les élus et améliorer les choses. En signant et en diffusant la pétition, chacun de nous devient en quelque sorte un acteur de changement », indique-t-il.
Signer la Pétition sur l’uniformisation de mesures de base en prévention du suicide dans les unités de psychiatrie de tous les CIUSSS et CISSS du Québec sur le site Web de l’Assemblée nationale.
Aider, de différentes façons

Daniel Lepage, retraité du Service des technologies de l’information de l’UQTR.
Daniel a également à son actif plusieurs autres implications dans le domaine de la santé mentale et de la prévention du suicide. À la suite d’un autre suicide, celui de la mère de ses enfants (survenu il y a une vingtaine d’années), et animé par le désir de faire entendre la voix des endeuillés du suicide, il entreprend des démarches pour la mise en place d’un OSBL, soit l’Association des Endeuillés par Suicide (AES) de la Traverse. Cet organisme, dûment enregistré au Registre des entreprises du Québec, a été actif pendant une dizaine d’années (2005-2015). Daniel y a occupé le poste de président et, à ce titre, il a animé des ateliers auprès des endeuillés et a participé à maintes reprises au Grand forum de l’Association québécoise de prévention du suicide en tant qu’exposant ou comme membre organisateur de l’événement. Également, depuis six ans, il est membre du conseil d’administration du Centre de prévention du suicide l’Accalmie, ainsi que membre du Comité de maintien du réseau Les Sentinelles à l’UQTR.
Il est également porteur de différents projets, comme Crois-en toi, nous sommes là : « On oublie souvent la base en santé mentale. À travers des témoignages, ce projet met de l’avant l’acceptation de son état, une étape essentielle pour réussir tout traitement en santé mentale. Ce projet a fait l’objet de présentations auprès de hauts fonctionnaires du ministère de la Santé et des Services sociaux. S’il se concrétise, il nourrira auprès des personnes ayant des difficultés en santé mentale l’espoir de reprendre sa vie en main et de mener une existence active et épanouie. Il reste encore des tabous à briser dans la société, et les gens doivent croire qu’on peut revenir de tels enjeux », remarque-t-il
Dans un souci d’aider le public à suivre le développement de ses différents projets, Daniel a eu l’idée de développer un site Web. Celui-ci regroupe l’ensemble des actions qu’il pose en lien avec la santé mentale et la prévention du suicide. Le public est invité à consulter ce site ; comme certains projets sont en attente, le fait de le diffuser sur les médias sociaux pourrait aider à leur avancement.
Un message livré avec aplomb
On pourrait s’imaginer que Daniel est un homme abattu, brisé. Il reconnaît avoir pleuré la perte de sa fille ; il la pleure toujours. Or, c’est plutôt un homme solide, porté par l’amour de son enfant, qui répond présent pour mener le combat.
« Je ne veux pas essayer de blâmer, ou me servir du système comme punching bag. Si je brasse un peu les choses, c’est pour que la démarche soit productive. Nous avons besoin d’une prise de conscience, parce qu’il y a des éléments dans notre système qui ne fonctionnent pas. Heureusement, nous pouvons les améliorer », lance-t-il.
À cet égard, Daniel souligne l’importance de se faire confiance. Nombreuses sont les occasions où il aurait pu baisser pavillon, se dire qu’il n’y avait rien à faire et abandonner. Après tout, qui est-il, si ce n’est un citoyen ordinaire ? Il constate toutefois qu’en ayant du front, il a fini par faire bouger certaines choses.
« Il y a une force qui se dégage de chaque projet que je mène. C’est ce que je fais de mon deuil, j’essaie d’amener des changements pour qu’un tel drame ne se reproduise pas. Je pense aux autres, qui un jour craindront peut-être pour la sécurité d’un proche hospitalisé pour une problématique de santé mentale. J’aimerais qu’ils ne soient pas habités par la peur de recevoir le même appel que moi. Leur proche devrait avoir accès aux meilleurs soins possibles, et être bien traité. C’est mon souhait, parce qu’au final, ma fille me manque », exprime Daniel.
« Mais je pense aussi qu’elle serait fière de moi », conclut-il.
En lisant cet article, il est possible que cela ait généré chez vous des émotions difficiles à gérer. Pour les membres de la communauté universitaire, vous pouvez faire appel au réseau Les Sentinelles si vous en ressentez le besoin.
Voici également d’autres ressources qui sont là pour vous aider. Ces intervenants spécialisés en prévention du suicide sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et ce partout au Québec pour vous aider à traverser une période difficile. Vous pouvez communiquer avec eux gratuitement et de façon confidentielle :
- Par téléphone au 1 866 APPELLE (277-3553)
- Par texto au 1 855 957-5353 (ou au 535353)
- Par clavardage sur le site de suicide.ca