L’extrait est tiré de Bleu – source de terre, le premier – et seul – recueil de poésie écrit par Gaston Bellemare, publié en 1971. « Je ne suis pas poète », affirme pourtant celui qui est une figure incontournable de la poésie au Québec. « Mais j’adore la poésie », ajoute-t-il rapidement. On peut le croire sur parole : depuis près de 45 ans, ce diplômé en lettres de l’UQTR porte la poésie à bout de bras et avec passion. Portait d’un personnage qui, s’il n’est pas poète, en a définitivement l’âme.
Lorsqu’il achète l’Ode au Saint-Laurent du poète trifluvien Gatien Lapointe au début des années 1960, Gaston Bellemare tombe littéralement en amour avec cet art littéraire. « La lecture des textes de Gatien Lapointe a bousculé ma vie. La poésie donne accès directement à une personne, à son être, et nous offre de la rencontrer par les mots du cœur. Cela m’a fait prendre conscience que le cœur et l’âme ne sont pas des consommateurs de biens matériels, c’est-à-dire de “l’avoir”. Ils constituent le moteur principal qui nous fait aimer, être et ressentir profondément. En ce sens, la poésie est un art qui positionne “l’être” comme état premier de l’existence », philosophe-t-il.
Sa rencontre – au sens figuré – avec Gatien Lapointe, qui deviendra plus tard son professeur à l’université et son mentor, le pousse à s’intéresser davantage à la littérature québécoise. Le jeune homme, à l’époque musicien, entame un programme en lettres au Centre des études universitaires de Trois-Rivières, l’ancêtre de l’UQTR d’où il obtient son diplôme de baccalauréat en 1971. Entre-temps, l’université trifluvienne voit le jour en 1969 et, sur l’invitation du recteur-fondateur Gilles Boulet, M. Bellemare siège au comité de création du programme de littérature en tant que représentant des étudiants.
L’homme natif de Saint-Étienne-des-Grès obtient un poste de professionnel au sein de l’université naissante, où il agit comme responsable de la famille des arts et sciences humaines de 1971 à 1974. Il participe à la création de l’École internationale de français de l’UQTR en 1974, œuvre ensuite au Service de développement pédagogique, et termine sa carrière universitaire en 1997 comme coordonnateur des stages auprès des étudiants en récréologie.
Les Écrits des Forges
Durant toutes ces années et encore aujourd’hui, la poésie ne quitte jamais son cœur, ni son âme d’ailleurs. C’est sa deuxième carrière; un univers parallèle, en quelque sorte, qui se construit depuis la fondation, en 1969, des Écrits des Forges par Gatien Lapointe et quatre de ses étudiants, dont Gaston Bellemare. Les trois premiers titres paraissent en 1971, parmi lesquels se trouve le recueil Bleu – source de terre écrit par celui qui, après le décès de Gatien Lapointe en 1983, assurera la relève de la petite maison d’édition qui compte 55 titres à son actif.
Le contexte est difficile lorsque le diplômé de l’UQTR prend la barre des Écrits des Forges. Au début des années 1980, les ventes de livres chutent dramatiquement et, par ricochet, la poésie est abandonnée par le public. « On devait trouver des moyens pour continuer à vendre nos recueils et pour cela, il était nécessaire de faire entendre la poésie et de veiller à ce que les gens se l’approprient. Comme les médias s’intéressent aux événements et en parlent, on a décidé de faire un festival pour remédier au manque de visibilité de la poésie dans l’espace public », relate M. Bellemare.
Un festival de la poésie
C’est ainsi qu’est né, en 1985, le Festival national de la poésie de Trois-Rivières. Au-delà de l’objectif de redonner à la poésie ses lettres de noblesse, il s’agissait aussi de permettre au public de se laisser séduire par les voix des artisans de cet art lyrique. « Nous voulions créer un lieu de communication et de cohabitation entre les poètes et le public dans les cafés, bars et restaurants de Trois-Rivières », explique l’amoureux de la poésie.
La formule est simple : un poète, un micro, un public. « Le poète se met devant le public et laisse couler sa voix pendant trois minutes », précise-t-il. Dès la première édition, la formule plaît et le succès est instantané, au point où le grand poète québécois Félix Leclerc, qui y participe, déclare que Trois-Rivières deviendra la capitale de la poésie.
En 1989, l’événement s’ouvre sur le monde en invitant des poètes de plusieurs pays et prend ainsi l’appellation de Festival international de la poésie de Trois-Rivières (FIPTR). « Année après année, depuis le tout début, nous avons donné un vrai public à la poésie et aux poètes d’ici et d’ailleurs », dit fièrement le Trifluvien maintes fois primé pour ses initiatives, lui qui a notamment reçu un doctorat honoris causa de l’UQTR, le titre d’Officier de l’Ordre national du Québec, ainsi que le prix Georges-Émile-Lapalme, la plus haute récompense accordée par le gouvernement du Québec pour une carrière consacrée à la qualité et au rayonnement de la langue française.
Enraciner la poésie dans la ville
Le FIPTR, qui s’échelonne aujourd’hui sur dix jours au mois d’octobre, ne saurait à lui seul combler le temps mort poétique des 355 autres jours de l’année. Pour que les Trifluviens comme les touristes côtoient la poésie au quotidien, il faut la faire vivre de façon durable. Et ce sont toutes les initiatives parallèles – il y en a des dizaines! – visant à semer la poésie dans le cœur de la ville qui font qu’elle survit aux saisons et s’enracine dans l’âme de la Cité de Laviolette. Qu’on pense seulement à la Promenade de la poésie, inaugurée en 1994, constituée de 300 poèmes d’amour affichés sur les murs de la ville. Une initiative qui fait son effet : « Des couples s’arrêtent pour s’embrasser après la lecture d’un poème », s’émerveille Gaston Bellemare.
On retrouve aussi au centre-ville le Monument au poète inconnu et, à ses côtés, la Boîte à poèmes d’amour où sont glissés annuellement des milliers de textes écrits par le public. Depuis 2009, les badauds peuvent apprécier la Promenade internationale de la poésie où se côtoient, sur les murs du Parc portuaire de Trois-Rivières, plus de 100 poèmes représentant 22 langues et traduits en français, écrits par autant de poètes provenant d’une quarantaine de pays.
Des années fastes
Durant plusieurs années, Gaston Bellemare s’occupe du FIPTR et des initiatives qui l’entourent, publie une moyenne de 50 livres par année aux Écrits des Forges – entre 1983 et 2008, soit les années où il agit comme président et éditeur, 1100 titres sont parus, dont près de la moitié en coédition avec 51 éditeurs dans 17 pays – et édite trois revues de poésie, Estuaire, Arcade et Exit. Le tout en menant de front sa carrière professionnelle à l’UQTR jusqu’en 1997. La question se pose : dort-il? « C’est, je dirais, reposant de voir que tout cela fonctionne bien! », lance-t-il.
Et heureusement, il n’est pas seul dans l’aventure. On ne peut en effet parler de Gaston Bellemare et du FIPTR sans braquer quelques projecteurs sur son âme sœur, Maryse Baribeau, qu’il a d’ailleurs rencontrée à l’UQTR. Cette diplômée de notre université au baccalauréat en génagogie de la cohorte de 1978 œuvre depuis plus de 20 ans comme directrice générale du FIPTR, après avoir dirigé les Écrits des Forges. Elle s’occupe de la programmation, du budget ainsi que de la formation et de la gestion du personnel du FIPTR, en plus de voir à l’accueil personnalisé de tous les poètes – ils sont environ 100 chaque année.
« La force que nous avons développée se vit de deux manières. D’une part, le public est heureux avec la poésie, soit en l’écoutant au Festival, soit en la côtoyant à travers la ville, soit en la lisant grâce aux Écrits des Forges. Et, d’autre part, ce public crée, chez tous les poètes, cette sensation très forte et très valorisante d’être écoutés, aimés et respectés », conclut-il. Mission accomplie, donc, pour Gaston Bellemare qui, même s’il a théoriquement pris sa retraite, est encore bien présent dans l’univers de la poésie