Quel est le lien entre un peloton de satellites de la NASA, les rayonnements infrarouges émis par les végétaux, et la forêt boréale, qui constitue plus de 70 % de nos forêts canadiennes ? Depuis plusieurs décennies, l’imagerie satellitaire est utilisée pour développer des indices de végétation basés sur la longueur des ondes réfléchies par le couvert végétal de la planète afin d’en analyser la composition. Cependant, jusqu’à tout récemment, aucun indice de végétation ne permettait de distinguer la réflectance spectrale des conifères de celle du reste des végétaux.
Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Elyse Malleret, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement (profil avec mémoire) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Elyse Malleret, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement (profil avec mémoire) de l’UQTR.
En 2023, 15 millions d’hectares de forêts boréales, mixtes et de feuillus ont été ravagés au Canada par plus de 6 000 incendies, mettant davantage en péril cette importante réserve de carbone déjà menacée. Au lendemain de ces évènements d’une ampleur sans précédent, et à l’aube des changements climatiques majeurs que subira la forêt boréale, des chercheurs de l’Université Laval ont développé un nouvel indice de végétation, l’indice Needleleaf, afin de répondre au besoin criant de déterminer plus précisément sa superficie dans le but d’anticiper les dangers qui la guettent.
Plus d’une décennie de croissance partie en fumée
À l’aide de près de 25 000 images satellitaires prises sur une période de 1984 à 2023, les chercheurs ont pu utiliser l’indice Needleleaf afin d’estimer que la perte de superficie subie en 2023 par les forêts de conifères nord-américaines est de 2,79 %, ce qui correspond à 55 205 km2. Le Québec est la province où le déclin le plus important a été observé, avec une superficie détruite de 13 737 km2. Il a également été déterminé que si les feux de forêt de 2023 n’avaient pas eu lieu, la superficie de la forêt boréale aurait augmenté de 28 474 km2 entre 2011 et 2023, ce qui met en lumière l’immensité de la perte subie et l’importance des outils d’analyses spécifiques à ce biome.
L’indice clé pour résoudre l’énigme
L’indice Needleleaf est basé sur les données recueillies par les satellites Landsat, qui capturent des images de la planète bleue dans plusieurs régions du spectre électromagnétique correspondant chacune à une gamme de longueurs d’onde. L’analyse de ces images a d’abord permis aux chercheurs de déterminer que les forêts de conifères émettent des rayonnements infrarouges entre 0,85 et 2,2 micromètres, alors que les autres types de végétation réfléchissent plutôt des longueurs d’onde entre 0,7 et 0,8 micromètre. On combine ensuite dans une formule mathématique la proportion de lumière infrarouge proche et de lumière infrarouge à ondes courtes réfléchies par chacun des points d’une image donnée, et voilà, le tour est joué : on obtient l’indice Needleleaf ! Chaque point possède ainsi une valeur d’indice différente située entre 0 et 1, permettant d’identifier le type de couverture terrestre auquel il appartient. Par exemple, une étendue d’eau possède une valeur d’indice entre 0 et 0,2, les conifères une valeur entre 0,2 et 0,4, et les feuillus une valeur entre 0,4 et 0,6. Cela permet enfin de différencier les forêts boréales, contrairement aux indices déjà existants comme le forest index (FI), qui s’appuie uniquement sur les longueurs d’onde visibles, inférieures à 0,7 micromètre, ou encore le soil-adjusted vegetation index (SAVI), plus approprié pour les régions au climat aride où le couvert végétal est faible.
Des ondes invisibles… mais remarquables !
La responsable derrière ces mystérieux rayonnements émis par les végétaux est la chlorophylle : contenue dans les chloroplastes des cellules végétales, la chlorophylle est un pigment permettant aux plantes de faire de la photosynthèse, c’est-à-dire d’absorber une partie des ondes lumineuses visibles et invisibles afin de la convertir en énergie. Les plantes absorbent la lumière bleue et rouge, mais reflètent la lumière verte, ce qui leur confère leur couleur caractéristique, ainsi qu’une portion de rayonnements infrarouges. Le ratio entre les ondes infrarouges absorbées et réfléchies constitue une riche source d’information : il varie en fonction des caractéristiques du couvert végétal et renseigne sur le type de végétation, la santé des plantes, et leur densité.
L’indice Needleleaf est donc un outil précieux pour une surveillance accrue des forêts de conifères, non seulement dans le but d’estimer les pertes de superficie et de biomasse, mais également pour identifier des zones à risque et effectuer un suivi des feux de forêt actifs. Il ne reste plus qu’à continuer le développement de cet indice afin de l’adapter aux forêts boréales du nord de l’Europe et de l’Asie, dans l’espoir d’approfondir nos connaissances sur ces ressources d’une valeur inestimable.
Réferences
Amiri, A., Soltani, K., Gumiere, S. J., et H. Bonakdari. 2025. Forest fires under the lens: needleleaf index – a novel tool for satellite image analysis. npj Natural Hazards 2, 9. https://doi.org/10.1038/s44304-025-00063-w
Ressources naturelles Canada, 2024. Incendies de forêt d’une ampleur record au Canada en 2023 : un réveil brûlant. https://ressources-naturelles.canada.ca/histoires/science-simplifiee/incendies-foret-ampleur-record-canada-2023-reveil-brulant

