Lorsqu’il est question des effets néfastes du cannabis, l’accent est souvent mis sur les conséquences vécues par les consommateurs. Mais qu’en est-il des gens qui doivent cohabiter avec eux ? Joël Tremblay, professeur agrégé au Département de psychoéducation de l’UQTR, s’est posé la question.
Spécialiste de la toxicomanie et du jeu pathologique, M. Tremblay a consacré une partie de ses recherches à l’inclusion de l’entourage du patient dans son traitement contre la dépendance. D’entrée de jeu, le professeur explique qu’il existe plusieurs situations où les gens vivent avec des personnes dépendantes.
Il parle d’abord des parents qui ont un adolescent toxicomane. « C’est certain que c’est une situation difficile. Il y a un mélange des liens d’affection et du rôle d’autorité que doivent exercer les parents. Mais dans bien des cas, les choses peuvent se rétablir par une intervention, afin d’aider les parents à recréer les liens avec leur enfant, tout en fixant des limites », note M. Tremblay. Il faut aussi explorer avec le jeune, le sens de cet épisode de consommation.
Le chercheur aborde ensuite le cas des enfants mineurs qui ont des parents toxicomanes. « Un trop grand usage d’alcool ou de drogues chez les parents peut compromettre le développement de l’enfant, puisque les parents n’arriveront pas à offrir les conditions nécessaires à son développement », remarque-t-il. M. Tremblay apporte cependant une nuance. Selon lui, les parents toxicomanes peuvent quand même être de bons parents. Il affirme que souvent, l’amour des parents pour leurs enfants les motive à intervenir pour changer leur comportement.
Enfin, le professeur expose la dynamique du couple dont l’un des conjoints est toxicomane. « Ce sont des adultes qui viennent cogner à nos portes parce que leur situation conjugale s’est détériorée. À cette étape, certains décident d’interrompre leur relation, mais ceux qui décident de la poursuivre viennent chercher notre aide », mentionne-t-il.
Un coup de main de l’entourage
La dépendance aux stupéfiants peut donc miner plusieurs types de relations. Il n’en demeure pas moins que dans tous les cas, les membres de l’entourage essaient d’aider ou d’influencer leur proche toxicomane pour qu’il cesse sa consommation. Selon le professeur Tremblay, ceux-ci ont recours à une gamme extrêmement variée de moyens pour y parvenir. « Ils vont essayer l’affection, la colère, le contrôle… Parfois, les conjoints vont même aller jusqu’à s’intoxiquer eux-mêmes pour montrer à leur compagnon à quel point c’est désagréable de vivre avec un toxicomane », énumère-t-il.
Le professeur mentionne toutefois que ces stratégies sont inégales dans leur efficacité. Parfois, ces tactiques vont même renforcer involontairement la consommation chez le proche toxicomane. Ainsi, M. Tremblay doit conseiller l’entourage lorsqu’il procède à une intervention.
« Souvent, les proches deviennent exaspérés et manifestent beaucoup d’agressivité. On va travailler avec eux à bien communiquer, à cesser tout dénigrement et toute attaque verbale. Ils doivent témoigner de leur affection envers la personne, mais aussi formuler des messages clairs, pour que la personne comprenne que son entourage n’acceptera pas qu’elle poursuive sa consommation », explique-t-il.
Jusqu’où faut-il aller ?
Dans le cas où la personne n’est pas réceptive à l’intervention, l’entourage peut avoir recours à des méthodes de plus en plus importantes en termes d’intensité. Par exemple, lors des repas, les proches de la personne dépendante peuvent refuser de manger avec elle si elle est intoxiquée (elles lui auront expliqué d’avance cette attente de sobriété lors des repas). Ils peuvent également la laisser vivre les conséquences naturelles de ses actions.
« Souvent, les gens ont le réflexe de protéger leur proche. Cependant, ce n’est pas forcément une bonne chose de lui éviter toutes les conséquences de sa consommation. Par exemple, si la personne toxicomane dort sur le plancher, ses proches peuvent le laisser là s’il n’y a pas de danger (étouffement, blessures, etc.) », évoque M. Tremblay.
Le professeur prévient cependant que ce type de stratégies exige de la constance, conjuguée à de la précaution pour ne pas causer plus de tort que de bien. Il faut en effet appliquer ces stratégies de façon systématique, malgré la charge émotive qu’elles génèrent, tout en exprimant toute notre affection à la personne.
Prendre soin de soi
Ainsi, impliquer les proches d’une personne toxicomane dans son traitement contre la dépendance peut avoir des effets bénéfiques. Cependant, l’expérience peut se révéler assez épuisante pour l’entourage. M. Tremblay soulève d’ailleurs l’importance pour les proches de prendre soin d’eux-mêmes. Lorsqu’ils se sentent bien, le traitement réduit la consommation de la personne toxicomane dans 58% des cas.
Si ces résultats sont encourageants, de nombreux experts affirment que la légalisation du cannabis causera un accroissement des problèmes liés à la consommation de drogues douces. À ce sujet, M. Tremblay se montre rassurant. Il croit en effet que le système de santé est prêt à accueillir ces cas supplémentaires. Il rappelle qu’il y a déjà des personnes présentant des problématiques majeures en lien avec le cannabis dans les centres de traitement, et ce, depuis des années.
Au final, le professeur Tremblay invite tant les proches que les toxicomanes à s’adresser à de l’aide professionnelle lorsque cela est nécessaire.
« Lorsqu’on commence à se dire que c’est moins plaisant, qu’on a du mal à s’empêcher de consommer, ou que l’on consomme trop, ce sont des signes qui indiquent qu’il vaut mieux se modérer et faire attention », prévient-il.
« Dans ce cas, il est peut-être temps d’aller chercher le soutien nécessaire. Tous les centres de santé du Québec offrent des services pour les personnes ayant des difficultés avec l’alcool et les drogues », conclut M. Tremblay.