L’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) ouvre ses portes en septembre 1969. Tandis que les jeunes qui y commencent leur formation universitaire célèbrent l’inauguration de l’établissement comme l’avènement d’une ère nouvelle, les plus anciens y voient plutôt un aboutissement et même une conquête. Car à son premier jour, la nouvelle UQTR a déjà une longue histoire.
Les débuts de l’enseignement universitaire en Mauricie et au Centre-du-Québec
Le premier enseignement universitaire en Mauricie est dispensé en 1930. Initiative du Technical Institute [1] de Shawinigan, la « treizième » année scientifique, offerte en anglais, conduit directement à la deuxième année du programme de sciences de l’Université McGill. Rapidement, les francophones deviennent majoritaires dans cette 13e année, qui est une voie plus courte et moins chère vers l’université que le collège classique. Si bien que les frères de l’Instruction chrétienne décident en 1943 de proposer une formation semblable dans leur école secondaire de l’Immaculée-Conception. La commission scolaire de Shawinigan est d’accord pour financer cette année supplémentaire. Cependant, ce n’est qu’en 1948 que l’Université Laval finit par reconnaître celle-ci comme première année du programme de sa Faculté des sciences.
Or, après la Deuxième Guerre mondiale, une véritable aspiration à l’éducation supérieure commence à pénétrer les milieux canadiens-français. Même s’il est possible de bien gagner sa vie dans les usines, plusieurs parents souhaitent désormais pour leurs fils, et dans certains cas pour leurs filles, une carrière dans les professions libérales ou dans les nouvelles professions qui émergent alors en grand nombre dans tous les secteurs de l’économie. Les entreprises elles-mêmes ont besoin d’employés détenant un diplôme universitaire. Plusieurs commissions scolaires, ainsi que des établissements privés tenus par des frères, se mettent à allonger leurs divers programmes d’une année et demandent à faire reconnaître celle-ci comme « première universitaire ». Quelques collèges classiques font de même : ils mettent sur pied des formations passerelles entre la 12e année et certaines facultés en espérant les faire reconnaître. Mais les universités refusent net. Si les jeunes Mauriciens et Centricois veulent poursuivre leurs études, ils n’ont qu’à déménager à Montréal, à Québec ou à Sherbrooke et à recommencer leur première année ! Les universités se justifient en invoquant leur manque de ressources.
Cette crispation n’empêche pas le Québec de bouger toujours plus rapidement. Sous les pressions conjuguées du baby-boom et des besoins de l’économie, l’enseignement secondaire public est réformé profondément en 1956 en vue, notamment, de faciliter le passage à l’enseignement supérieur. Les universités n’ont plus le choix. Cette année-là, l’Académie De La Salle de Trois-Rivières obtient l’autorisation de dispenser les deux premières années du programme de la Faculté de commerce de l’Université Laval, le Séminaire Saint-Joseph peut offrir la première année de sa Faculté des sciences, l’hôpital Saint-Joseph devient hôpital universitaire et commence à recevoir les résidents de sa Faculté de médecine.
Les universités elles-mêmes s’agrandissent. L’Université Laval, notamment, qui étouffe dans ses murs du Vieux-Québec, déménage en 1959 dans un campus tout neuf à Sainte-Foy. On comptait 7 000 jeunes dans les universités francophones en 1945, cela monte à 11 439 en 1960. Mais ceux-ci ne représentent encore que 2,9 % des francophones de leur âge, alors que 11 % des anglophones du même âge fréquentent l’université cette année-là. Il faut que le rattrapage s’accélère.
Pour y arriver, les milieux d’influence dans les régions demandent l’ouverture de facultés affiliées. La Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie, la Jeune Chambre de commerce, le Séminaire Saint-Joseph, Le Nouvelliste, le maire Laurent Paradis de Trois-Rivières et Maurice Bellemare, le coloré député de Champlain, unissent leurs voix en ce sens en 1955. L’École supérieure d’assistance sociale fondée en 1958 par Mgr Georges-Léon Pelletier, l’évêque de Trois-Rivières, est d’ailleurs affiliée à l’Université d’Ottawa en 1960. Mais les universités québécoises rejettent catégoriquement cette option. Au plus, se résolvent-elles à regret à reconnaître un plus grand nombre de formations dispensées dans les établissements de niveau secondaire. C’est ainsi que le Séminaire Saint-Joseph et l’école de l’Immaculée-Conception peuvent enseigner la deuxième année de la Faculté des sciences de Laval à partir de 1960 et 1962 respectivement ; en 1964, les deux années supérieures en sciences sont du reste détachées de cette école, et reprises pour former le tronc commun des programmes du nouveau Collège universitaire scientifique de Shawinigan. Après 1960, le gouvernement du Québec finance d’ailleurs volontiers les initiatives de ce genre.
Tout comme celles qui voient le jour au Centre-du-Québec. Le Séminaire social Pie XII de Nicolet est fondé en 1959 pour dispenser de l’enseignement par correspondance ; c’est parce qu’il s’adresse seulement à des adultes que l’Université de Sherbrooke accepte de le reconnaître comme faculté affiliée ; en 1966 par ailleurs, le Collège de Victoriaville est enfin autorisé à donner la première année de la licence de français de la Faculté des lettres de Laval.
La naissance du Centre des études universitaires de Trois-Rivières
Devant l’impossibilité d’obtenir des facultés affiliées et la difficulté de faire reconnaître les formations supérieures par les universités existantes, Mgr Pelletier entreprend en 1960 de réunir sous un seul chapeau les classes universitaires dispersées dans les divers établissements de son diocèse. Le Conseil d’administration des cours universitaires du diocèse de Trois-Rivières est mis sur pied. L’évêque propose même au premier ministre Barrette ni plus ni moins que d’autoriser sa transformation en véritable université, projet qui se rend l’année suivante jusqu’à l’étape du projet de loi. Malgré l’opposition des trois universités francophones qui multiplient les pressions à Rome, la Sacrée Congrégation des séminaires et des universités donne son aval le 8 septembre 1961.
Mais à ce moment, il est déjà trop tard. L’opinion publique de la Révolution tranquille ne veut plus de « curés » dans l’enseignement et les universités ont eu le temps de faire comprendre au premier ministre Jean Lesage ainsi qu’à son ministre de l’Éducation, Paul Gérin-Lajoie, qu’elles ne veulent pas d’une autre concurrente. À Québec, on se camoufle derrière le rapport Parent [2] qu’on attend, et de toute façon, le gouvernement a déjà décidé que l’heure est aux universités « nouvelles », c’est-à-dire notamment sans charte pontificale.
Sous la direction de l’abbé Gilles Boulet, le Conseil d’administration des cours universitaires s’occupe donc au début uniquement des cours du soir et se tourne résolument vers l’éducation permanente. En 1962, il change de nom pour prendre celui de Centre des études universitaires (C.E.U.). Le C.E.U. accepte d’ailleurs cette année-là de déroger à l’enseignement de niveau strictement universitaire pour préparer les adultes au baccalauréat ès arts de Laval, un diplôme de niveau collégial qui ouvre les portes de plusieurs facultés. Du même souffle, il développe une vaste gamme de cours d’extension universitaire : en sciences, en commerce, en sciences sociales, en administration, et même en philosophie quand les Jésuites arrivent en 1967 avec 10 000 volumes tirés de leur bibliothèque du Gésù. Petite consolation pour l’évêque : en 1965, le gouvernement dote le C.E.U. d’une charte provinciale et dès l’année suivante, il assure celui-ci d’un financement d’université sans le nom. Des programmes de niveau universitaire ouverts aux jeunes à temps complet commencent à voir le jour. En 1968, 1 225 étudiants à temps complet et 832 à temps partiel fréquentent l’établissement. Le C.E.U. regroupe également 153 personnes, dont 95 professeurs.
Entre-temps, en 1965, le rapport Parent a recommandé non pas de fonder de nouvelles universités dans les régions, mais au moins d’y ouvrir des centres universitaires affiliés, mais il est resté volontairement vague sur la date de leur éventuelle inauguration. Cette fois, c’est la commission Parent qui arrive trop tard.
La création de l’Université du Québec et de l’UQTR
Car partout, on commence à s’impatienter. Non seulement à Montréal, où le projet d’une deuxième université francophone piétine depuis le début des années 1960, mais aussi dans les régions, où on a besoin d’universités et où on se dit prêtes à les accueillir. Dans le contexte chaud de l’année 1968, à l’échelle mondiale comme au Québec, le projet de loi 88 créant l’Université du Québec est finalement adopté en décembre. Les députés ont voté à l’unanimité.
La loi crée une université publique, mais pas d’État ; une université réseau mais dont chaque établissement jouira d’une personnalité juridique autonome ; une université complète, c’est-à-dire vouée à la fois à l’enseignement aux trois cycles, à la recherche, et à la présence concrète et multiforme à son milieu. La loi donne aussi à l’Université du Québec une mission particulière en formation des adultes, ainsi qu’en formation des maîtres, car les écoles normales cessent d’exister. Enfin, la loi crée une université « nouvelle », sans facultés.
Satisfaction chez les étudiants. Inquiétude dans les universités existantes. Joie mêlée de déception dans les régions, où on avait rêvé d’universités indépendantes mais où l’on sait avoir désormais en main un outil extraordinaire pour promouvoir l’enseignement supérieur et favoriser le développement régional.
Partout les délais sont courts. À Trois-Rivières, le C.E.U. et l’École normale d’État Maurice-Le-Noblet-Duplessis (ÉNMLND) cessent d’exister. Les deux établissements sont absorbés par la nouvelle UQTR, qui reçoit sa charte en mars 1969. Un comité régional de planification est mis sur pied, qui engage une véritable course contre la montre : engager les professeurs, organiser les départements, structurer les programmes, veiller sur l’équipement, préparer l’administration et la gestion financière. L’abbé Gilles Boulet est choisi par le gouvernement pour devenir recteur-fondateur. En septembre 1969, tout est à peu près prêt pour la première rentrée.
La première année
Compte tenu de la mission de l’UQTR en formation des maîtres, les professeurs de l’ÉNMLD accroissent de 40 % l’effectif enseignant à l’UQTR. Cependant, dès le début, la constituante offre une variété de programmes en mathématiques, physique, chimie, biologie, lettres, sciences humaines et religion, grâce au haut degré d’organisation de l’enseignement précédemment atteint par le CEU. Elle ouvre même dès janvier 1970 quatre programmes de maîtrise. Le recteur Boulet souhaite développer les programmes de santé ou tournant autour de la santé : ce développement s’amorce par le nursing et le génie médical.
Parallèlement, l’Université décentralise ses enseignements et rejoint dès la première année plus de 3 000 adultes dans quelques usines de la ville, mais surtout dans les centres qu’elle ouvre à Nicolet, Drummondville, Victoriaville et Berthier.
L’UQTR, en outre, part sur les chapeaux de roues en recherche. Inconsciente des difficultés qui vont bientôt se faire jour, elle ne monte pas moins de cinq centres de recherche. Dans des domaines parfois assez vagues : communication humaine, histoire des religions et de la pensée par exemple ; dans d’autres plus prometteurs : éducation ou loisirs et récréation ; et le plus solide de tous, le centre de recherche des sciences de la santé et de l’efficience physique qui, à vrai dire, existait déjà dans l’ancien CEU.
Toujours dans la première année, la constituante trifluvienne participe vigoureusement à la mise en place du système informatique commun à toutes les constituantes du réseau et au siège social. Et enfin, dès 1970, soit dans sa deuxième année, elle accepte le mandat d’offrir des programmes de formation des maîtres en Abitibi-Témiscamingue [3] : elle sera donc à l’origine de ce qui deviendra une douzaine d’années plus tard un nouvel établissement du réseau de l’UQ.
Cet article est tiré du tout nouveau numéro de la revue Empreinte dont la thématique est « L’éducation en Maurice et au Centre-du-Québec, 1960-1970 : les changements ».
Pour en savoir plus
Lucia Ferretti, L’Université en réseau. Les 25 ans de l’Université du Québec, Sainte-Foy, PUQ, 1994 (surtout les chapitres 1 et 2).
Louis-Edmond Hamelin, Les chemins de l’Université. Trois-Rivières et sa région de 1930 à 1985, Trois-Rivières, UQTR.
René Hardy, Jean Roy et Normand Séguin, « L’éducation », dans René Hardy et Normand Séguin, dir., Histoire de la Mauricie, Québec, IQRC, 2004, p. 957-966.
Références
[1] Le Shawinigan Technical Institute (S.T.I.) a été créé en 1912 et fut rattaché au Cégep de Shawinigan en 1968. Le Cégep deviendra le Collège de Shawinigan en 1994.
[2] La commission Parent, du nom de son président, Mgr Alphonse-Marie Parent, est formée en avril 1961. Son nom officiel est la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province du Québec. Le rapport Parent est publié en trois tomes, sur cinq volumes, en 1963 et 1964.
[3] Cette vaste initiative, baptisée Opération Nord-Ouest par le ministère de l’Éducation (MEQ), s’inscrit dans le contexte de la fermeture des écoles normales (dédiées à la formation des maîtres). En décembre 1969, le MEQ demande à l’UQTR d’ouvrir des cours dans le nord-ouest de la province. Dans le rapport annuel de 1969-1970, le recteur Gilles Boulet mentionne que « cette opération expérimentale exige une très grande mobilité et présence active dans toute la région ». En septembre 1970, l’UQTR offre des cours à 200 étudiants réguliers à Rouyn-Noranda et à près de 800 adultes répartis dans quinze localités.