Originaire de la région de l’Estrie, Anne-Marie Duquette est candidate au doctorat en lettres. Ayant déjà complété deux années au doctorat, l’étudiante a emprunté divers chemins avant de trouver la voie de son projet actuel.
Diplômée d’une technique en travail social à Sherbrooke, Anne-Marie se dirige à l’Université du Québec à Rimouski pour compléter un baccalauréat en lettres et création littéraire. Par la suite, la vie la mène jusqu’à l’UQTR où, sous la direction de la professeure Mathilde Barraband, elle fait une maîtrise en lettres. Aujourd’hui, sous la codirection de la professeure Barraband et du professeur Arnaud Latil de l’Université Paris-Sorbonne, elle s’intéresse à la liberté de création dans un contexte de polémique dans le cadre de son doctorat. Autrement dit, sa thèse cherche à jeter un regard critique aux œuvres qui ont été amenées en justice ou qui ont créé une polémique considérable dans la francophonie à partir des années 2000 jusqu’à aujourd’hui.
Un sujet qui l’anime
L’étudiante nous avoue que, depuis qu’elle a rempli ses demandes de bourses à l’automne 2018, elle a dû changer de sujet de thèse à trois ou quatre reprises. Pour elle, ces changements de cap ne sont pas des échecs. Au contraire, ces derniers sont ce qui lui a permis de trouver son projet actuel qui est, selon elle, « audacieux, mais absolument passionnant. »
« Au regarde de l’augmentation des procès littéraires depuis les années 2000, je me questionnais sur les limites de la liberté de création. Comment peut-on considérer une œuvre littéraire, le plus souvent fictionnelle, à ce point forte, importante, qu’elle puisse porter atteinte à un individu? », souligne l’étudiante.
Ayant l’impression que, dans les dernières années, les médias peinaient à représenter adéquatement la sensibilité des gens à l’égard de leur récit lors des situations de grandes polémiques littéraires, l’étudiante désirait se pencher sur la question des procès littéraires afin de mieux comprendre la relation qu’entretiennent les peuples occidentaux avec la création artistique. Pour elle, ces polémiques sont intimement liées avec les questionnements identitaires qui découlent des théories en sciences sociales; qu’il s’agisse des « gender studies » ou des « cultural studies », en passant par les théories déconstructivistes, ces théories sont des « manifestations d’un changement de conception de la formation de l’identité, dont les procès littéraires ne sont qu’une infime partie ».
Se raconter ou raconter autrui
Se questionnant sur ce qui pouvait rendre une œuvre littéraire polémique, Anne-Marie a d’abord constaté que la majorité des textes poursuivis en justice en France « l’étaient sur le fondement d’atteinte à la vie privée. » Elle explique que les écrivains étaient poursuivis, car des personnes se reconnaissaient dans les traits d’un personnage. Simultanément à ces poursuites, les écritures hybrides entre la fiction et le réel sont devenues de plus en plus communes. Que ce soit des œuvres d’autofiction ou des récits de filiation, les écrivains se sont inspirés de la vie pour écrire leur roman. Anne-Marie avance que les études réalisées en philosophie à ce sujet, soit celles de Ricoeur, Butler et Foucault, ont tendance à indiquer que « la mise en récit de soi est une pratique non seulement potentiellement thérapeutique, mais aussi préalable à l’agentivité », c’est-à-dire la capacité d’un être à agir sur le monde.
Or, dans les situations où les écrivains ont raconté le récit d’autrui, ils ont dépouillé, d’une certaine façon, « cette personne de sa capacité de se raconter ». L’écriture inspirée du réel peut donc être émancipatrice ou, au contraire, ébranlante pour l’individu qui se voit privé de la possibilité de raconter sa propre histoire.
L’influence des actes d’énonciation
Les cas d’œuvres ayant créé une polémique ou ayant fait procès des années 2000 à aujourd’hui ont souligné, pour Anne-Marie, l’influence que les actes d’énonciation et les énoncés peuvent avoir sur la personne qui fait l’objet d’un récit. Utilisant deux corpus distincts, elle fait recours à certaines théories issues des domaines du droit, de la philosophie et de la littérature pour analyser ce phénomène. En premier lieu, elle se sert des décisions de justice et d’entrevues médiatiques pour observer les procédés littéraires qui, pour les individus s’étant reconnus dans un personnage, sont perçus comme litigieux. En deuxième lieu, elle analyse des cas qui ne se sont pas rendus en justice, mais qui ont occupé un espace médiatique. À travers ceux-ci, elle jette un œil aux arguments soulevés par les parties concernées dans un contexte non juridique.
Une curiosité insatiable
La curiosité immense d’Anne-Marie, qui est essentielle à quiconque désire aller au fond des choses, lui donnait originalement l’impression qu’elle serait incapable de se lancer dans un doctorat. En effet, pouvant se laisser absorber corps et âme par des sites de référencement, elle ne passait pas être apte de ne se dévouer qu’à une seule question.
« Après une longue période de tâtonnements, j’ai réussi à circonscrire une problématique de recherche qui me permet d’explorer plusieurs champs différents, tout en me penchant sur un seul phénomène, ce qui est un réel tour de force », explique Anne-Marie.
Elle s’estime chanceuse d’avoir trouvé une question qui lui donne la liberté de toucher à plusieurs disciplines universitaires et d’avoir une direction qui accepte de la suivre dans cette aventure qui lui permet de se « construire une place où sa curiosité peut pleinement s’épanouir! » Membre du « Laboratoire de recherche sur les publics de la culture »et du « Laboratoire de recherche « L’art en procès », Anne-Marie se démarque par sa sensibilité à l’égard d’enjeux contemporains et par sa volonté sincère d’approfondir les connaissances dans le milieu des lettres.