La plupart des voitures électriques et de nombreux appareils électroniques utilisent des batteries lithium-ion comme source d’énergie. Mais ces batteries ont actuellement mauvaise presse, en raison notamment des risques de surchauffe et d’explosion qu’elles peuvent présenter. Pour pallier ce problème, les fabricants recherchent des solutions, mais celles-ci apparaissent encore complexes, coûteuses et énergivores. Et si la meilleure réponse se trouvait dans la fibre lignocellulosique des arbres? Cette avenue de recherche prometteuse est actuellement explorée par le chargé de cours Dan Belosinschi du Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR.
Depuis plus de 20 ans, ce chercheur mène des travaux en lien avec la chimie des pâtes et papiers. Après avoir obtenu un baccalauréat et une maîtrise dans cette spécialité en Roumanie, son pays d’origine, il a émigré au Québec en 2008. Une fois passés les cours de francisation, il s’est tourné vers l’UQTR pour y obtenir, en 2014, un doctorat en sciences et génie des matériaux lignocellulosiques. Il a aussi réalisé un stage postdoctoral dans les laboratoires de l’Université.
Pendant son parcours à l’UQTR, Dan Belosinschi a travaillé tout particulièrement avec le professeur François Brouillette. Les deux chercheurs consacraient leurs efforts à la modification chimique de la fibre lignocellulosique du bois, pour lui conférer des propriétés particulières. En voulant greffer un additif – l’ester de phosphate – à la surface de la fibre, l’équipe a obtenu un résultat inattendu.
« Nous avons réussi à fixer seulement la partie phosphate de la molécule, produisant ainsi une fibre phosphorylée. Et cette dernière présente des propriétés très intéressantes. Elle est ignifuge. Elle peut aussi servir à filtrer les eaux usées en captant des métaux toxiques, des colorants et même des médicaments. De plus, elle peut être superabsorbante, ce qui en fait une excellente candidate biodégradable pour les produits comme les serviettes hygiéniques », explique Dan Belosinschi.
Un matériau intéressant pour les batteries
Au cours des années suivantes, le chercheur continue d’étudier la nouvelle fibre phosphorylée. Il découvre alors que cette dernière peut aussi être conductrice d’électricité. « La cellulose est plutôt un isolant qui conduit mal le courant électrique. Mais lorsque nous greffons du phosphate à sa surface, elle devient capable d’attirer les ions. La fibre phosphorylée présente une conductivité d’environ dix millions de fois plus grande que la cellulose non modifiée. Et c’est ce type de conductivité qui est recherché dans les batteries », rapporte Dan Belosinschi.
Traditionnellement, une batterie se décline en trois principales parties : une électrode positive (cathode), une électrode négative (anode) et un liquide permettant aux ions de circuler d’une électrode à l’autre, pour produire du courant. Dans la batterie lithium-ion, le liquide (appelé électrolyte) est composé d’un solvant où est dissout un sel de lithium.
« Ce type de batterie présente toutefois des inconvénients, mentionne Dan Belosinschi. Les ions de lithium circulent à grande vitesse dans le liquide. Ils arrivent d’une manière incontrôlable en grande quantité, comme une onde de choc. Cela ne laisse pas assez de temps pour une insertion uniforme dans l’électrode. Les ions commencent alors à se déposer tel un métal, petit à petit, sur la surface des électrodes. Ils forment des filaments qui peuvent éventuellement se joindre et mettre en contact les deux électrodes, provoquant alors un court-circuit et un incendie. Pour éliminer ce problème, les constructeurs de batteries tentent de remplacer l’électrolyte liquide, à la source du problème, par un électrolyte solide. »
Fabriquer un matériau pouvant servir d’électrolyte solide est chimiquement complexe, coûte cher et requiert beaucoup d’énergie. C’est ici que la fibre de cellulose phosphorylée, sur laquelle travaille Dan Belosinschi, devient intéressante.
« À la surface de la fibre de cellulose phosphorylée se trouve du phosphate sur lequel il est possible de mettre des ions de lithium. Je peux ensuite utiliser la fibre modifiée pour fabriquer un papier qui servira d’électrolyte solide. Ce dernier serait placé entre les deux électrodes pour permettre le fonctionnement de la batterie, sans avoir à utiliser d’électrolyte liquide », décrit le chargé de cours.
De multiples avantages et possibilités
La fibre phosphorylée amène d’autres propriétés fort intéressantes. « Dans une batterie, il y a un séparateur placé entre les deux électrodes afin d’éviter qu’elles ne se touchent. Il s’agit habituellement d’un film de plastique microporeux, laissant circuler les ions. Lorsqu’un court-circuit survient, ce plastique brûle et alimente le feu. L’incendie se propage aussi dans l’électrolyte liquide inflammable. Je pourrais donc remplacer le film de plastique par un séparateur de papier fabriqué à partir de la fibre de cellulose phosphorylée. Cette dernière étant ignifuge, elle pourrait freiner le feu dans la batterie et contribuer à retarder la propagation d’un incendie, offrant ainsi plus de temps aux usagers pour s’éloigner du danger », précise-t-il.
Le séparateur de papier à base de cellulose modifiée comportant déjà des ions de lithium, il ne serait plus nécessaire d’ajouter du sel de lithium dans le liquide de la batterie. Ce dernier ne serait alors constitué que d’un simple solvant.
« Je suis aussi persuadé que l’utilisation d’un papier à base de cellulose phosphorylée pourrait prolonger la vie d’une batterie lithium-ion, affirme Dan Belosinschi. Dans ce type de batterie, des réactions parasites se produisent et consomment du lithium. La fibre de cellulose modifiée serait en mesure de capter les produits de ces réactions parasites et, ce faisant, de relâcher des ions de lithium qui pourraient être utilisés par la batterie. La fibre agirait donc comme un agent de restauration de la batterie, en lui fournissant une réserve supplémentaire de lithium qui allongerait sa durée de vie. »
Des résultats espérés à court terme
Pour en arriver à ses fins, Dan Belosinschi a divisé son projet de recherche en deux étapes. La première, déjà complétée, consistait à phosphoryler la fibre, à y ajouter des ions de lithium et à produire les échantillons de papier requis pour l’utilisation visée dans une batterie. Afin de consacrer le temps nécessaire à ces travaux, le chercheur a pu réduire sa charge de cours grâce à une allocation financière de l’UQTR. Il a aussi bénéficié de la précieuse collaboration du professeur François Brouillette dans la réalisation de cette première phase, davantage liée au domaine des pâtes et papiers.
La seconde étape du projet, débutant en ce mois de juin, touchera davantage le secteur de l’électrochimie. « Le papier à base de fibre de cellulose modifiée doit maintenant être testé à l’intérieur d’une batterie, indique Dan Belosinschi. Il faut vérifier la conductivité, soit la vitesse à laquelle circulent les ions, les cycles de charge et de décharge de la batterie et la stabilité dans le temps. Pour ce faire, je bénéficierai de la collaboration de la professeure Gessie Brisard du Département de chimie de l’Université de Sherbrooke. »
Dans la poursuite de ses recherches, Dan Belosinschi peut compter sur une bourse de 7 500 $ octroyée conjointement, en mars dernier, par le Syndicat des chargés de cours de l’UQTR et la Fondation de l’UQTR. Ce montant lui permettra notamment de bénéficier de l’aide d’un étudiant stagiaire de l’université trifluvienne.
« Je suis très optimiste envers mon projet, souligne le chercheur. D’ici un an, je pense que j’aurai toutes les données disponibles pour commencer à rédiger un brevet sur cette technologie. L’amélioration des batteries lithium-ion est un sujet d’actualité brûlant. De nombreuses compagnies investissent des dizaines de millions de dollars dans ce type de recherche. Si j’obtiens les résultats souhaités avec mes travaux, ce sera une percée majeure. Je pourrai offrir une solution plus verte et plus économique qui répondra vraiment aux besoins. »
Outre qu’il œuvre à titre de chargé de cours à l’UQTR depuis 2013, ajoutons que Dan Belosinschi est également chercheur associé à l’Institut d’innovations en écomatériaux, écoproduits et écoénergies (I2E3) à base de biomasse de l’Université du Québec à Trois-Rivières.