En restauration, le menu incarne en quelque sorte l’univers gastronomique proposé par un établissement. Qu’elles soient classiques ou audacieuses, les assiettes en disent long sur la personnalité du chef. Ce parallèle s’observe également chez les brasseurs, qui offrent des gammes allant de conviviales à plus recherchées. À la microbrasserie Le Presbytère de Saint-Stanislas, les mets et les bières tirent indiscutablement leur origine de deux esprits créatifs.
Isabelle Dupuis et Francis Boisvert sont tous les deux diplômés du baccalauréat en arts plastiques de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). En tant que chef-propriétaire, Mme Dupuis a développé un volet gastronomique axé sur les produits d’ici. Quant à M. Boisvert, qui est propriétaire-brasseur, son processus de création est influencé par la flore que l’on retrouve dans la région.
« Dans notre parterre et dans les champs aux alentours, il y a plusieurs herbes forestières et autres aromates. Nous faisons nous-mêmes des découvertes, que nous partageons avec notre clientèle. En tant qu’entrepreneurs, nous voulons aussi encourager les producteurs locaux. Ça fait partie de notre ADN ; d’ailleurs, 80 % de notre grain provient de la Mauricie. Et quand nous arrivons en cuisine, l’achat local est au cœur de notre philosophie », souligne M. Boisvert.
Abondant dans le même sens, Mme Dupuis insiste sur le fait que cet appui passe d’abord par la table. Grâce à des collaborations avec des dizaines de fournisseurs régionaux, Le Presbytère met en vedette une variété d’aliments du Québec. La chef-propriétaire n’hésite pas non plus à faire affaire avec des producteurs qui génèrent des volumes plus limités.
« J’ai développé un menu à l’aveugle que nous appelons l’Acte de foi. Ce sont des plats un peu plus recherchés, élaborés avec des ingrédients plus rares desquels nous sommes approvisionnés en petites quantités. Pour éviter d’en manquer, nous avons eu l’idée de les inclure dans un menu où les gens ne savent pas à l’avance ce qu’ils vont manger. Notre clientèle doit donc nous faire confiance, mais jusqu’à présent, elle est vraiment emballée par l’expérience », affirme-t-elle.
Au cours des dernières années, Le Presbytère s’est spécialisé dans les comestibles forestiers. Ce tournant remonte à 2018, alors que Mme Dupuis a pris part à la seconde édition de MYCO : Rendez-vous de la gastronomie forestière, organisé par Le Temps d’une Pinte et la Filière mycologique de la Mauricie.
« Les chefs qui participent à cet événement gastronomique doivent créer des assiettes qui mettent les champignons sauvages en valeur. J’avais décidé de m’inscrire pour le plaisir, mais au final, j’ai remporté le concours ! Le prix était un voyage en Espagne avec la délégation de la Filière mycologique. Le pays est vraiment une plaque tournante de la gastronomie mondiale, et j’ai pu y faire deux stages dans des restaurants Michelin. Avec la notoriété que le concours nous a apportée, nous attirons aujourd’hui une clientèle qui va bien au-delà des gens du coin et des geeks de microbrasseries », témoigne Mme Dupuis.
Outre les champignons, les repas du Presbytère s’accompagnent d’autres comestibles forestiers comme le poivre d’aulne, la comptonie voyageuse et le myrique baumier. Une section du menu est d’ailleurs consacrée au lexique des espèces utilisées.
« Nous avons acheté un terrain à l’arrière de notre maison pour faire de la permaculture. Nous avons commencé à planter du sureau, de la guimauve et de la gadelle, entre autres. Nous cueillons aussi dans des lopins sauvages où il y a du gaillet, de l’achillée millefeuille, des boutons de marguerite, des têtes de violon, des morilles, de la renouée du Japon… D’ailleurs, je ne sais pas si cette plante va devenir notre fer de lance, mais nous faisons partie des rares personnes à la travailler. Bien que ce soit une espèce envahissante, nous nous en servons pour faire nos bières, nos desserts, nos potages, nos sautés, etc. », indique Mme Dupuis.
Concrétiser ses idées
Les deux propriétaires du Presbytère se sont rencontrés à l’UQTR alors qu’ils étudiaient au baccalauréat en arts plastiques. S’ils avaient initialement l’intention de se diriger vers l’enseignement, les emplois dans ce domaine étaient rares au cours des années 1990-2000. Mme Dupuis a ainsi travaillé en sérigraphie, tandis que M. Boisvert a fait quelques détours. Éventuellement, c’est une opportunité qui les pousse vers le secteur de l’alimentation.
« La mère de Francis avait un service de traiteur, et elle nous a annoncé qu’elle voulait vendre son entreprise. Nous avons donc décidé de prendre la relève, ce qui nous a amenés à chercher un local commercial. Nous avons finalement acheté l’ancien restaurant du village, qui venait de fermer ses portes. Il l’a entièrement rénové, et en 2003, nous avons ouvert notre premier restaurant. Pendant cette période, nous avons aussi eu trois enfants, dont deux jumeaux », raconte Mme Dupuis.
« À cette époque, notre restaurant proposait déjà une vaste gamme de bières de spécialité. Or, les microbrasseries ont commencé à faire leur place dans le paysage, et nous nous sommes mis à offrir leurs produits. Avec le temps, plusieurs confrères du milieu brassicole nous ont encouragés à brasser nos propres bières. Ainsi, quand nous avons acheté le presbytère en 2015, c’était dans le but de le convertir en microbrasserie », ajoute M. Boisvert.
Avec le recul, les deux propriétaires jugent que leur cheminement d’études leur a permis de donner vie aux nombreuses étincelles qui animent leurs activités professionnelles.
« Le domaine des arts, on ne sait jamais où ça peut nous amener. Nous ne faisons peut-être plus de dessins, mais nous sommes constamment en train de créer. Que ce soit en cuisine, dans la brasserie ou sur le plan de la décoration, nous développons toujours de nouvelles idées », indique M. Boisvert.
« Nous avons fait nous-mêmes le design d’intérieur. Les cours d’art nous apprennent à recycler les matériaux, ce qui diminue les coûts. Tout ce qui est travaux manuels, nous nous en sommes occupés. Les poignées de nos lignes de fûts ont été faites par le père de Francis, qui était ébéniste. Les notions qu’on a acquises à l’école nous sont restées, et nous ont grandement aidées », renchérit Mme Dupuis.
Toujours connectés à leurs racines, les propriétaires du Presbytère accueillent également les artistes de la région qui souhaitent exposer à la microbrasserie. Les talents émergents qui voudraient y présenter leur œuvre peuvent d’ailleurs les contacter.
Une question d’opportunités
En amenant une microbrasserie à Saint-Stanislas, les propriétaires ont généré de l’intérêt pour le village. Fiers de contribuer au développement de leur communauté, ils remarquent que le tourisme brassicole attire beaucoup de monde. Selon eux, il est ainsi capital de se démarquer, et de saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent.
« Il y a trois ans, une grande maison victorienne est tombée en vente en diagonale de notre commerce. Avec la microbrasserie, l’aspect touristique s’est beaucoup développé, notamment avec les motoneigistes. Or, il n’y avait pas d’endroit où dormir, même en été. Nous nous sommes alors dit que nous pourrions acquérir la maison pour la convertir en auberge. Maintenant, pendant la saison hivernale, nous sommes toujours complets. Nous offrons des forfaits avec nos nuitées, qui permettent aux gens de venir faire une journée de brassage », note M. Boisvert.
Autre opportunité, les propriétaires du Presbytère ont su tourner la pénurie de main-d’œuvre à leur avantage. En réduisant la capacité d’accueil de leur établissement pour maintenir la qualité de leur service à la clientèle, ils ont récupéré suffisamment d’espace pour aménager une boutique. Désormais, en plus de retrouver des produits du terroir dans leur assiette, les visiteurs peuvent se procurer ces mêmes produits pour les ramener chez eux. Plus encore, ils trouveront dans la boutique de l’artisanat, des bières en cannettes, ainsi qu’un dessert très spécial : les poudings de Zachary.
« Zachary a commencé chez nous en tant que stagiaire il y a un peu plus de quatre ans. Comme il a un trouble du spectre de l’autisme, son parcours scolaire comprenait une initiation au marché de travail. Nous avons vite réalisé qu’il avait une motivation particulière pour la conception des desserts. Sauf qu’à un moment donné, nous avons cessé d’offrir des desserts en semaine. Je trouvais ça dommage, parce que je savais que c’était valorisant pour lui. Puis, Francis a eu l’idée de vendre les poudings de Zachary en boutique, ce qui lui a permis de continuer son travail. À cet égard, nous remettons 2 $ par pouding à l’Apevah, un organisme qui vient en aide aux personnes vivant avec un handicap », conclut Mme Dupuis.