Avez-vous déjà eu un fantasme sexuel qui vous fasse sentir mal-à-l’aise, voire bizarre ? Mais au fait : qu’est-ce qu’un fantasme sexuel « normal » ? Déviant ? Dangereux ? Selon, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), des fantasmes ou comportements sexuels atypiques se nomment « paraphilies », ce qui inclut le fétichisme, le sadomasochisme, le transvestisme, le voyeurisme, l’exhibitionnisme, la pédophilie, la nécrophilie et la zoophilie.
« Cependant, le terme atypique n’est pas défini sur la base de données probantes, générant plusieurs critiques », affirme d’emblée Christian Joyal, professeur au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Mis à part les paraphilies illégales impliquant le non-consentement d’une victime, donc criminelles, qu’en est-il des paraphilies consensuelles comme le fétichisme, le masochisme ou le BDSM ? Jusqu’où peut-on les considérer « atypiques », voire anormales ? Quelle est leur valeur en tant que symptômes d’un trouble mental ? Quelle est la valeur de prédiction d’un fantasme sexuel pour le comportement futur ?
Définir la normalité
Pour tenter de répondre à ces questions, le professeur Joyal a mis sur pied un programme de recherche en sexologie, auquel participe également sa collègue Julie Carpentier du Département psychoéducation de l’UQTR. À travers leurs études, les deux chercheurs à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel ont démontré que plusieurs fantasmes paraphiliques sont fréquents parmi la population générale, des résultats qui sont maintenant rapportés dans la dernière édition du DSM (DSM-5-TR, 2022) pour relativiser la définition des paraphilies. Il s’agit de la première fois de l’histoire du DSM qu’une étude québécoise est citée pour clarifier un diagnostic.
« À la lumière des résultats de nos études menées sur le sujet depuis quelques années, on constate que 57 % de la population générale aurait pu être considérée comme ayant une paraphilie. La définition du DSM-5 est donc trop inclusive, trop large, puisqu’on se rend compte que l’intérêt paraphilique est plus courant qu’on ne le pensait », soutient Christian Joyal. À cet égard, poursuit-il, « l’étude citée dans le DSM démontre que l’intérêt pour les comportements paraphiliques est plus commun qu’on pourrait le penser, et pas seulement en ce qui a trait aux fantasmes mais aussi quant au désir d’en faire l’expérience. » Ces résultats sont d’une grande importance pour le milieu médico-légal, puisqu’ils pourraient permettre la prévention du passage à l’acte chez les délinquants sexuels.
Une distinction a d’ailleurs déjà été introduite dans le DSM-5 entre la paraphilie et le trouble paraphilique, ce dernier référant à la personne dont les besoins, comportement ou fantasmes atypiques lui causent une souffrance ou des difficultés interpersonnelles.
« Idéalement, nous souhaiterions que certains intérêts paraphiliques soient retirés du DSM car on n’arrive pas à trouver des preuves qu’ils reflètent des troubles mentaux, un peu comme on l’a fait pour l’homosexualité au début des années 70. En fait, la définition d’une bonne santé sexuelle varie beaucoup en fonction de l’époque, du milieu socio-culturel, des valeurs personnelles et des croyances religieuses. Ainsi, il semble inadéquat de tenter de définir la sexualité normale appliquée à tout le monde. En occident aujourd’hui, l’intérêt pour des comportements sexuels non-criminels comme le fétichisme ou le BDSM ne devraient plus être vus comme des paraphilies et des manifestations de troubles mentaux, puisqu’ils ne sont ni anormaux ni atypiques au sein de la population générale. L’important est toujours de voir si les gens impliqués sont comblés et qu’aucune victime ne soit impliquée », explique le chercheur de l’UQTR.