Certains lieux surprennent par leur côté inusité. La microbrasserie Hop Station, à Coaticook, s’inscrit dans cette lignée. Située en retrait, son allure singulière pourrait confondre les visiteurs mal avisés. Que ceux-ci se rassurent, ils sont au bon endroit : la microbrasserie a été aménagée dans la vieille gare, un bâtiment historique dont l’architecture trahit l’ancienne vocation. Derrière les portes, toutefois, l’éclairage chaleureux qui enveloppe le bar et la scène laisse deviner les véritables activités qui s’y déroulent. En voiture !
À l’instar de la microbrasserie dont il est copropriétaire, le parcours d’Étienne Pélissier a de quoi surprendre. En 2015, il a complété son baccalauréat en sciences infirmières (formation initiale), et s’est retrouvé à œuvrer dans le domaine de la santé mentale. Or, la passion brassicole a fini par rattraper cet ancien de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), et l’a amené à se lancer dans le projet qui allait devenir Hop Station.
« Avec mon frère et deux amis d’enfance, nous caressions depuis plusieurs années le rêve d’avoir notre microbrasserie. Lorsque l’opportunité s’est présentée de nous installer ici, nous avons eu un coup de cœur. Par contre, il faut savoir que la gare a eu plusieurs vies. Il y a une quinzaine d’années, c’était un bar ; mais quand nous sommes arrivés, elle avait été convertie en espaces à bureaux. Nous avons donc dû effectuer de nombreux travaux manuels », raconte-t-il.
En septembre 2019, le Sherbrookois et ses partenaires ouvrent ce qui est au départ un pub de dégustation. S’ils ne brassent pas encore leur bière, leur commerce leur permet d’accumuler des fonds, et d’investir dans une infrastructure de brassage. Ils obtiennent finalement leur permis en août 2020, et commencent à produire sur place. Le décor enchanteur de la microbrasserie lui apporte alors une certaine notoriété.
« La vieille gare donne un cachet incomparable à notre établissement. Le côté historique, renforcé par le chemin de fer, rend les lieux vraiment vivants. Notre clientèle apprécie l’ambiance chaleureuse que nous avons instaurée. Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’il y a beaucoup de débrouillardise dans notre approche ! Plusieurs éléments sont issus du recyclage, comme notre bois décoratif et notre mobilier », indique Étienne.
Le bagage de l’infirmier
Après avoir complété un DEC en sciences de la nature, l’actuel copropriétaire de Hop Station avait commencé un baccalauréat en pharmacologie. Sauf qu’en cours de route, il a décidé de se réorienter.
« J’ai été réserviste dans l’armée pendant une dizaine d’années, surtout du côté médical. Je savais ce qu’était le métier d’infirmier, et ça m’intéressait de poursuivre dans cette voie. Le problème, c’est que la formation initiale n’était pas offerte à Sherbrooke. J’ai donc décidé de me tourner vers l’UQTR, car je n’avais pas besoin de refaire une technique pour intégrer le programme. De plus, j’avais entendu dire que les étudiants qui sortaient du baccalauréat initial étaient prompts, alertes et autonomes sur le terrain. C’était le genre de formation que je cherchais », évoque Étienne.
L’expérience militaire du Sherbrookois donne une couleur particulière à ses études. Initié par son emploi à l’intervention en matière de troubles mentaux, son vécu finit par déteindre sur ses intérêts scolaires.
« J’avais un travail qui se situait entre l’ambulancier et l’infirmier. Je faisais du triage, des évaluations cliniques, de l’urgence aussi. Une grosse partie de mon travail concernait la santé mentale, donc des patients qui pouvaient être suicidaires ou avoir des problèmes de dépendance. Avec le recul, j’aurais pu devenir travailleur social ; mais la profession d’infirmier me parlait beaucoup. Je trouvais ça stimulant », explique Étienne.
Si ce dernier se plaît à prodiguer des soins, c’est surtout le leadership inhérent à la profession qui le motive. Habitué par l’armée à gérer des équipes d’une douzaine de personnes, l’exécution collective des tâches ne lui fait pas peur. D’ailleurs, après avoir réussi l’examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, le premier poste qu’il obtient est celui d’assistant infirmier-chef. Il évolue alors à Montréal, dans différents centres et urgences liés à la dépendance.
Un retour aux sources
« Après un an, les choses ont commencé à devenir plus concrètes concernant la microbrasserie. Je suis donc revenu m’installer dans ma région natale. L’un de mes partenaires avait une érablière, et son équipement comprenait de gros chaudrons de 250 litres. Nous avons eu l’idée de nous en servir pour faire notre bière. De fil en aiguille, nous avons commencé à acheter de l’équipement de plus en plus gros. Nous avons même fini par faire appel à des soudeurs pour améliorer nos systèmes », se souvient Étienne.
En parallèle, l’infirmier occupe toujours un emploi à temps plein à l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke. Au total, il passera trois ans à partager son temps entre l’étage de santé mentale de l’hôpital et l’entreprise qu’il démarre. Il laissera finalement son poste d’assistant infirmier-chef en mai 2022, afin de se consacrer pleinement à la microbrasserie. Il conserve toutefois des acquis dont il se sert toujours au quotidien.
« Grâce à la profession infirmière, j’ai développé beaucoup d’habiletés administratives. J’ai assisté des gens dans leur demande d’aide sociale, et j’ai rempli d’imposants formulaires d’évaluations de santé globale. Alors, quand les gars sont arrivés en voulant brasser de la bière, j’étais d’accord, mais à la condition que tout se fasse dans les règles. J’ai donc pris la responsabilité de traiter toute la paperasse gouvernementale. C’est aussi pour ça qu’au sein de l’entreprise, je m’occupe du volet administratif : comptabilité, marketing, ventes, livraisons, ressources humaines et relations publiques », énumère Étienne.
« Le travail d’infirmier est incroyablement social. Au-delà des soins, la notion de service à la clientèle est très importante. On doit s’assurer de combler les besoins des gens. Dans l’industrie du service, c’est un peu la même chose : on entre en relation avec la clientèle pour lui donner la meilleure expérience possible. Sauf qu’au lieu d’être des patients, ce sont des gens festifs, ou en vacances, qui veulent passer un bon moment. Le fait d’être infirmier était absolument gratifiant ; par contre, je dois avouer que c’est un peu moins taxant d’évoluer dans le monde de la bière », ajoute-t-il.
Un lieu d’expression
À l’image de ses copropriétaires, les produits de Hop Station ont quelque chose de funky. Passionnés par le vieillissement en barriques et la fermentation mixte, ils ont développé toute une gamme inspirée du style belge, incluant des sûres, des gueuzes et des bières spontanées. Bien enracinés dans leur région, ils portent également une attention particulière à l’approvisionnement local, que ce soit pour les grains ou les fruits qu’ils utilisent. Cette préoccupation s’étend même au design de l’étiquette.
« Pour toutes nos bouteilles et nos cannettes, nous demandons à des artistes de créer une œuvre d’art qui va servir d’identité visuelle. Nous n’avons pas un artiste attitré, donc nous pouvons nous servir de notre image de marque pour mettre de l’avant une diversité de talents. Outre ça, nous organisons aussi des vernissages, et nous exposons des toiles dans la microbrasserie. Ça fait partie de notre vision de promouvoir l’art visuel », souligne Étienne.
« Ce qui nous distingue également sur le plan artistique, c’est que nous accueillons des concerts. Dès le début du projet, nous savions que nous voulions une scène. Quand nous étions jeunes, les premiers spectacles punks que nous avons vus, c’était ici. Nous avons carrément une relation sentimentale avec l’endroit ! Reste que notre offre tombe à point, car il n’y a pas beaucoup de lieux de diffusion pour les voix émergentes à Coaticook. Parfois, la culture se transporte aussi à l’extérieur, avec des cirques aériens et des performances pyrotechniques », conclut-il.