C’est sous le thème « Innover pour une gestion concertée et durable de l’eau » qu’a eu lieu les 13 et 14 novembre derniers à Montpellier (France) le Forum Innovation 2023, où le cas de la Ville de Victoriaville était mis en lumière.
Organisé chaque année par le Réseau de Recherche sur l’Innovation (RRI) pour explorer comment les sciences sociales ou de l’ingénieur abordent de nouveaux enjeux, processus ou domaines de l’innovation, ce colloque a été accueilli cette année à Montpellier, qui est l’un des sites les plus importants au plan international pour cette thématique. Avec la participation du centre UNESCO ICIREWARD (International Center for Interdisciplinary Research on Water Systems Dynamics), de la Chaire Eau, Agriculture et Changement climatique, des unités mixtes de recherche (UMR) G-Eau et Innovation de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), de l’Institut AGRO Montpellier et de l’Institut Caisse des Dépôts et Consignations pour la recherche, un panel d’expertises de tous les horizons était alors réuni.
Agir par l’innovation
« La gestion de l’eau est sous tension, en France et partout dans le monde », déclare d’entrée de jeu Jean-Marc Touzard, directeur de Recherche, économie de l’innovation, ainsi que directeur de l’UMR Innovation à l’INRAE. C’est dans ce contexte et de celui des défis climatiques, de la poursuite des croissances urbaines, de l’augmentation des prélèvements d’eau pour différents usages ou de la gestion de l’eau dans une approche durable et circulaire que s’est annoncé ce forum d’innovation. Au programme, ce sont des innovations technologiques, agroécologiques, sociales, organisationnelles ou politiques qui ont été expérimentées, analysées ou proposées pour une gestion durable et concertée de cette ressource. Des représentants de la communauté scientifique de tous les horizons, ainsi que des acteurs terrain, ont pris part à ce rendez-vous qui avait rassemblé 33 communications et des tables rondes pour un parcours multidisciplinaire. L’objectif du colloque était de croiser les recherches des scientifiques travaillant sur la gestion de l’eau et de ceux qui étudient les innovations.
Un cas de succès québécois qui a attiré l’attention
« Le premier soir, nous avons eu droit à une visite présentant des installations municipales vieilles de plus de mille ans… rappelant qu’au Québec, nos installations sont très jeunes ! », s’exclame Nicholas Fecteau. Malgré tout, au Québec, nos expériences avec succès ont le mérite d’intéresser la communauté scientifique internationale. C’est pour cette raison que Simon Barnabé et Nicholas Fecteau de la Chaire de recherche municipale pour les villes durables à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) s’étaient impliqués sur le comité scientifique de l’événement. M. Fecteau était présent sur place. Il a été panéliste sur la table ronde pour « La construction d’un écosystème d’innovation sur la gestion de l’eau à Montpellier », et conférencier (titre de la conférence : Le conseil scientifique pour une nouvelle chaîne de valeur de l’eau sous une approche territoriale et circulaire : Le cas de Victoriaville (Canada) et de son conseil scientifique). En guise d’introduction, « La Ville de Victoriaville est un véritable laboratoire vivant autour du développement durable et de l’économie circulaire », a lancé M. Fecteau à un auditoire attentif. Une des thématiques approfondies par la Chaire municipale porte d’ailleurs sur l’eau et son cycle de vie dans une gestion municipale. Le but de la présentation était de mettre en lumière toutes les actions d’une ville, dans l’étude de cas présentée, Victoriaville, de son entrée dans le cycle, par les eaux de ruissellement, le stockage et la redistribution, jusqu’à sa consommation par les industries et citoyens, et l’assainissement des eaux usées avant de les retourner dans la boucle. Ce vaste laboratoire vivant que propose Victoriaville permet de travailler la chaîne de valeur de l’eau en étudiant toutes les étapes du cycle et de proposer un portefeuille de solutions pour chacune d’elles, mobilisant alors de nombreux autres experts.
La relation science et ville comme amplificateur de succès
Mais comment analyser ces innovations ? Quels sont leurs conditions de développement, de réussite et leurs impacts à l’échelle des territoires ? Nous savons qu’à l’heure actuelle, les villes bénéficient de façon décousue de recherches scientifiques par des études, des projets pilotes ou expérimentaux qui se déroulent sur leur territoire, sans systématiquement y être interpellées ou impliquées. Par observation, mentionne le professeur Barnabé, « les dirigeants et élus municipaux sont peu informés de la science qui œuvre sur leur territoire ou participent très peu. Et d’un autre côté, certaines équipes municipales mettent en place des innovations qui auraient intérêt à être diffusées et qui pourraient actualiser certaines connaissances scientifiques. » Les villes endossent un rôle où elles doivent, plus que jamais, intégrer la science dans leurs décisions. Par exemple, elles sont positionnées comme locomotives pour résoudre les défis climatiques, ou pour accélérer la transition écologique et durable de la société en misant sur une planification stratégique de développement et d’aménagement du territoire.
Actuellement, le conseil scientifique auprès des gouvernements s’opère surtout à l’échelle provinciale et nationale. Cette approche n’était pas encore arrivée au niveau des gouvernements de proximité jusqu’à tout récemment. En fait, c’est le 23 janvier dernier que la Ville de Victoriaville, appuyée par le scientifique en chef du Québec Rémi Quirion, a fait figure de précurseur en procédant à la nomination officielle du professeur Barnabé à titre de conseiller scientifique en chef de la Ville de Victoriaville. Cette désignation de chercheur universitaire pour épauler le conseil municipal et son administration dans l’exploration de nouvelles pratiques novatrices représente une première pour une ville au Canada, et souligne une fois de plus l’agilité et la capacité d’innovation des villes de petite et moyenne taille, et du rôle clé que peut (doit) jouer une université pour la communauté. Cette réalisation a pu voir le jour grâce à un historique de collaboration entre un chercheur et une ville. Depuis, d’autres villes et territoires ont emboîté le pas. En France, des expérimentations similaires ont également lieu, rapprochant la science des élus et des décideurs municipaux ainsi que des acteurs du milieu. En effet, Olivier Barreteau, directeur adjoint au ICIREWARD à l’INRAE et à l’UMR G-Eau, précisait lors du forum qu’« à la manière du travail mené par les Boutiques des Sciences[1], dont nous nous inspirons en collaborant régulièrement avec celle de Montpellier, connue sous le nom de Trait d’Union[2], l’université peut jouer un rôle de médiateur entre des participants issus de différents univers. L’université joue alors un rôle de facilitateur pour un apprentissage partagé et des feedbacks continus pour faire tenir les liens entre les participants aux Living labs. Elle peut aussi jouer un rôle de catalyseur. »
Transférabilité ?
Sur la question de la transférabilité du modèle de Victoriaville à d’autres villes, « on est plutôt sur des recommandations de développer la culture de l’innovation et de la science que de vouloir répliquer un modèle unique construit sur plusieurs décennies de leadership en développement durable », mentionne M. Fecteau. Ce dernier ajoute que « ce qu’il faut pour construire cette culture, ce sont des relations humaines, de proximité et de confiance entre chercheurs, élus et décideurs municipaux, ainsi qu’avec les parties prenantes locales, plus que de proposer des innovations technologiques. » M. Fecteau ne cache pas à l’auditoire que les facteurs de succès à Victoriaville s’appuient également sur la taille de la ville. En fait, Victoriaville bénéficie de l’échelle humaine qui permet flexibilité, agilité et rapidité d’action comparativement aux grands centres urbains au grand potentiel (autant humain que financier) à innover, mais croulants sous l’embourbement administratif et la multiplication des intervenants. Et quand il est question d’innovation et de bâtir des chaînes de valeur, la proximité physique inestimable entre les acteurs met la table à plus de solidarité, tout en augmentant la capacité de mobilisation et la vitesse de réaction pour saisir des opportunités. En reprenant les propos du professeur Barnabé, M. Fecteau rajoute qu’« il importe non seulement l’acceptabilité sociale, mais la désirabilité sociale des innovations. Lorsqu’on travaille tout le monde ensemble dès le départ, on construit un véritable écosystème d’acteurs désireux d’innovations. »
L’importance de l’internationalisation
Autant en France qu’ailleurs dans le monde, les exemples de villes durables et circulaires inspirants commencent à s’accumuler. Un niveau plus élevé d’internationalisation n’est alors que bénéfique à l’expansion des dimensions recherche, formation, innovation et de connexion avec ses cas de succès. Comme toute participation à l’international, « nous sommes heureux que ce forum ait ouvert la porte sur de potentielles nouvelles collaborations France-Québec avec des universités et des centres de recherche français pour lesquels nous n’avions pas encore eu la chance d’établir de liens. Il y a entre autres l’Université du Littoral Côte d’Opale, à Dunkerque au nord de la France, où des chercheurs spécialisés sur l’écologie industrielle étudient cette démarche menée au sein de l’agglomération dunkerquoise, qui constitue la plus ancienne en France, et qui compte encore aujourd’hui parmi celles où se sont développés le plus d’échanges de flux », conclut M. Fecteau. Le projet mené à Dunkerque avait d’ailleurs inspiré en partie le projet de Cité de l’innovation circulaire et durable porté par Victoriaville.
Avec la collaboration de :
Nicholas Fecteau, professionnel de recherche à l’Institut d’Innovations en Écomatériaux, Écoproduits et Écoénergies à base de biomasse (I2E3)
Simon Barnabé, professeur au Département de chimie, biochimie et physique, conseiller scientifique en chef de la Ville de Victoriaville, et titulaire de la Chaire de recherche municipale pour les villes durables
[1] Boutique des sciences : Un dispositif de médiation qui connecte les acteurs de la société civile avec les acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur. Elle recueille les attentes et besoins exprimés par des collectifs de citoyens à but non lucratif, que ce soit des questions scientifiques ou des demandes de travaux, https://boutiquedessciences.net
[2] Trait d’Union : Un tiers-lieu favorisant la coopération entre les acteurs locaux (notamment associatifs) et la communauté scientifique pour ancrer les recherches dans le territoire et favoriser une transition écologique et sociale en Région Occitanie, www.mshsud.org/sciences-societe/trait-dunion