Situé en Afrique du Nord, le Maroc est particulièrement touché par des pénuries en eau, liées à une intensification de la sécheresse causée par l’accélération des changements climatiques. Cette situation alarmante oblige les populations locales à mieux utiliser leurs ressources hydriques. Pour les aider dans cette démarche, l’UQTR s’est associée à une université marocaine afin de réaliser un projet d’amélioration des pratiques de gestion de l’eau, tout particulièrement dans le bassin du fleuve Oum Er Rbia.
« D’une superficie de 35 000 km2, le bassin versant de ce cours d’eau est l’un des plus grands du Maroc. L’Oum Er Rbia répond aux besoins de différents utilisateurs de l’eau, incluant les industriels et les agriculteurs, et alimente certaines des plus grandes villes du Maroc, comme Casablanca et Marrakech. Il compte 15 barrages hydroélectriques dont l’apport en énergie représente 70 % de la production nationale. Le bassin de ce fleuve joue ainsi un rôle économique et social prépondérant au Maroc. Malheureusement, la ressource en eau de ce bassin, aussi bien en surface que sous terre, présente un état critique à cause de périodes successives de sécheresse et de la forte demande socioéconomique », explique le professeur Christophe Kinnard du Département des sciences de l’environnement de l’UQTR, qui est un spécialiste de l’hydroclimatologie.
Afin de renforcer la gouvernance de la sécheresse ainsi que la résilience aux effets de la pénurie en eau de la population du bassin de l’Oum Er Rbia, le professeur Kinnard mènera des travaux avec des scientifiques de l’Université Mohammed VI Polytechnique, dont le campus principal est situé non loin de Marrakech. Ce projet en partenariat, étalé sur trois ans, sera financé par une subvention de près d’un demi-million de dollars obtenue récemment du Programme de coopération climatique internationale du gouvernement du Québec. Outre Christophe Kinnard, d’autres professeures et professeurs en sciences de l’environnement de l’UQTR, ainsi que des étudiantes et étudiants participeront aux travaux.
Prévoir pour mieux intervenir
En collaboration avec les agences locales de gestion de l’eau et les associations d’agriculteurs du bassin de l’Oum Er Rbia, le professeur Kinnard et ses partenaires travailleront à élaborer une plateforme de suivi et de prévision saisonnière de la sécheresse.
« Les Marocains ont besoin d’outils scientifiques pour être capables d’agir de façon proactive et d’intervenir au moment opportun, en cas de sécheresse. Dans le but de renforcer leur capacité à poser des actions préventives, nous voulons développer un système d’alerte précoce de la sécheresse. Ce dernier fournira en temps voulu des informations fiables sur l’intensité et la répartition géographique de la sécheresse, ce qui permettra de prendre les mesures d’atténuation appropriées pour réduire les répercussions négatives du manque d’eau. Les actions résilientes à entreprendre seront alignées sur les savoirs traditionnels ainsi que les pratiques ancestrales des populations locales », rapporte le professeur Kinnard.
Les outils prévisionnels élaborés par l’équipe de chercheurs seront basés sur des indicateurs clés de la sécheresse. Pour bien définir ces derniers, les scientifiques utiliseront des mesures hydroclimatiques, des observations satellitaires et des données environnementales et socioéconomiques recueillies au cours des trois dernières décennies. Ils prévoient aussi installer des stations permettant une cueillette automatisée – et en temps quasi réel – de données sur la météo, les précipitations, le stockage des barrages ainsi que le débit et le niveau des cours d’eau.
Les acteurs locaux : partie prenante de la solution
Dans le but d’accroître la résilience de la population du bassin de l’Oum Er Rbia face à la sécheresse, l’équipe scientifique souhaite lui fournir régulièrement des renseignements utiles. Une plateforme Web sera créée pour rendre disponibles différentes informations : indicateurs de sécheresse, impacts potentiels du manque d’eau sur l’agriculture, disponibilité des ressources en eau de surface et souterraine, etc.
Des formations seront également offertes aux acteurs locaux, à propos des bonnes pratiques liées à la gestion des ressources en eau. Des ateliers de transfert et d’échange viendront renforcer les capacités des gestionnaires et des agriculteurs à appliquer des mesures d’adaptation à la sécheresse. Plus particulièrement, les agriculteurs seront sensibilisés sur différents aspects tels que l’utilisation des engrais et pesticides, la conservation des sols et de la biodiversité, l’optimisation de l’irrigation, la rotation des cultures et la mise en jachère des parcelles.
Des enquêtes seront également réalisées sur le terrain pour mieux connaître les perceptions des gens par rapport au risque de sécheresse, à la pénurie en eau, au rôle des acteurs publics et aux solutions déployées par les chercheurs. Cette collecte d’information visera aussi à mettre en lumière les manières de fonctionner de la population locale en situation de risque climatique.
L’urgence d’agir
Depuis le début des années 1970, le Maroc a connu une augmentation de la fréquence, de la sévérité et de la durée des périodes de sécheresse, notamment dans le bassin de l’Oum Er Rbia. Sur ce territoire, les réservoirs des principaux barrages n’ont pas dépassé un taux de remplissage de 20 % au cours des trois dernières années. Suivant les projections climatiques, les épisodes de sécheresse deviendront plus fréquents dans l’avenir, avec une baisse prévue de 20 à 40 % des précipitations.
Fortement dépendant de l’agriculture, le Maroc se retrouve très vulnérable aux sécheresses. Le manque d’eau force souvent les agriculteurs à abandonner leurs activités jusqu’à la prochaine saison des cultures, ce qui entraîne une migration des populations rurales vers les villes. Les impacts de la sécheresse sont dévastateurs sur la sécurité alimentaire et la stabilité socioéconomique. L’optimisation de la gestion de l’eau représente ainsi une mesure d’adaptation clé pour assurer une préservation des ressources et réduire la pauvreté.
« La situation critique vécue par le Maroc met en évidence la pertinence de notre projet scientifique dans le bassin de I’Oum Er Rbia », souligne le professeur Kinnard, qui n’en est pas à ses premiers travaux en sol marocain. Le chercheur de l’UQTR a déjà pris part à un projet visant à mieux caractériser les stocks de neige dans l’Atlas – un massif montagneux nord-africain – ainsi que leur impact sur la disponibilité en eau au Maroc. Le développement de systèmes de prévision saisonnière des débits de rivières avait alors été amorcé, à partir d’observations hydrométéorologiques couplées à des techniques d’intelligence artificielle. Les connaissances et expertises acquises à cette occasion serviront de base au projet mené dans le bassin de I’Oum Er Rbia.
Voyez ici deux photographies prises par le professeur Kinnard lors de ses travaux dans le Haut Atlas marocain :
Notons que le professeur Christophe Kinnard est membre du Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques (RIVE) de l’UQTR. Pour en apprendre davantage sur les travaux de ce scientifique, Néo vous propose d’autres articles portant sur ses recherches (glace et changements climatiques) ainsi que sur ses projets au Chili, dans le Haut-Arctique canadien et sur le lac Saint-Pierre.