Quand le film Les Boys a pris l’affiche il y a plus de 27 ans, la réplique de Marc Messier sur « la dureté du mental » est instantanément devenue un classique. Prononcé dans le vestiaire des joueurs, ce discours emblématique se conclut sur un passage d’une étonnante profondeur. « Icitte, présentement, il y en a pas mal plus qu’on pense, du mental. La chambre est remplie de mental. »
Si le ton se veut humoristique, le propos traduit une réalité dont la pertinence est toujours actuelle. Chaque joueur arrive avec son bagage, sa détermination et ses enjeux. Pourtant, la santé mentale ne fait pas encore partie de la culture du hockey. Du côté des Remparts de Québec, les choses commencent à bouger : depuis le début de la saison 2024-2025, l’équipe accueille Camille Bégin, étudiante à la maîtrise en psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières à Québec (UQTR). Le tout s’inscrit dans un projet de stage en partenariat avec le Centre universitaire de psychoéducation en communauté (CUPC) et le campus de l’UQTR à Québec.
« J’ai monté un programme d’aide psychosociale auprès des athlètes. Pour bien évaluer les besoins, j’ai rencontré les joueurs, les entraîneurs, de même que les autres intervenants du milieu. Concrètement, l’approche consiste à faire des suivis individuels auprès des joueurs, avec une attention particulière aux joueurs blessés. Leur situation les expose à plusieurs impacts psychosociaux, notamment par rapport à l’éloignement de leur équipe et à la motivation. Il importe donc de faire de la prévention en amont, et de bien préparer le retour au jeu », explique-t-elle.
« Je fais aussi des suivis plus ponctuels avec les joueurs, en lien par exemple avec leur anxiété ou la gestion de leur horaire. Il faut garder à l’esprit qu’en plus d’évoluer avec les Remparts, ces gars-là sont aussi des étudiants, des chums et des fils, qui dans certains cas se retrouvent loin de la maison. Mon rôle est aussi de les aider à s’adapter à leur mode de vie. En ce sens, j’ai effectué des suivis de groupe, et je constate que de permettre aux joueurs de parler de santé mentale et d’équilibre de vie est bon pour l’esprit d’équipe », complète Camille.
Présente dans l’entourage des Remparts à raison de trois jours par semaine, la stagiaire en psychoéducation impressionne le personnel de l’équipe. Même si son rôle est atypique dans un environnement de hockey, ses interventions viennent définitivement combler un vide.
« Depuis son arrivée, Camille a fait un gros travail de défrichage. Son rôle n’était pas nécessairement connu des joueurs, des entraîneurs ou même du personnel sportif. Elle a beaucoup travaillé pour nous expliquer ce qu’elle fait, et pour impliquer les joueurs dans ses démarches. Son intégration a été un peu complexe au départ, mais elle a brillamment relevé le défi ! », constate Félix-Antoine Lavoie, thérapeute du sport agréé et thérapeute en chef des Remparts de Québec.
« Il faut dire que le projet qu’elle porte n’a pas d’équivalent dans l’histoire des Remparts. Je dirais même que rien de semblable n’existe au sein de la Ligue de hockey junior Maritimes Québec (LHJMQ). Que ce soit dans le vestiaire ou par rapport au volet pédagogique, elle s’assure d’établir des ponts de communication avec les joueurs. Elle se renseigne sur leur condition, leur niveau de forme, et propose un accompagnement approprié. Elle est aussi attentive aux nouveaux joueurs qui arrivent au sein de l’équipe, ce qui contribue activement à bâtir une dynamique de groupe », ajoute-t-il.
Puiser dans son vécu d’athlète
Si Camille s’intéresse à la santé mentale des athlètes de haut niveau, c’est qu’elle a elle-même connu cette réalité en tant que skieuse. D’ailleurs, elle se souvient encore des enjeux auxquels elle a fait face.
« Ayant fait de la compétition de ski pendant 10 ans, je me définissais beaucoup à travers mon sport. Mais plus je vieillissais, plus le calibre augmentait, et à 15 ans, je n’ai pas réussi à me tailler une place au sein de l’équipe régionale. C’était presque un deuil ! Avec le temps, cette expérience m’a amenée à m’interroger sur la façon dont les athlètes vivent les soubresauts de leur carrière. Cette question a d’ailleurs guidé mon parcours en psychoéducation, jusqu’à la maîtrise. Quand est venu le temps de faire mon stage, je savais que je voulais faire de l’intervention psychosociale auprès des athlètes de haut niveau », se souvient-elle.
Camille a fait part de cette volonté à Dave DesRosiers, coordonnateur du CUPC, qui supervise certains projets de stages. Après quelques démarches, l’étudiante s’est vu offrir d’intégrer l’organisation des Remparts. Si le milieu de stage lui inspire une certaine pression, il constitue également une opportunité qu’elle attendait depuis longtemps.
« Non seulement c’est un stage prestigieux, mais il me permet de travailler avec la clientèle qui me rejoint le plus. Je peux aider les joueurs à se développer à la fois en tant qu’athlètes et en tant que personnes. C’est important de les outiller pour chaque étape de leur carrière, y compris l’après, et de leur montrer qu’aller chercher de l’aide peut être une expérience positive. Je me dis que grâce à moi, ils seront peut-être moins hésitants à franchir le pas plus tard. D’ailleurs, je suis contente de voir à quel point ils ont embarqué dans mon projet, même si ça ne fait pas partie de leurs habitudes », souligne-t-elle.

Camille Bégin, stagiaire en psychoéducation avec les Remparts de Québec. (Photo: Thibault Jousselin, UQTR)
« Reste que le hockey demeure un milieu majoritairement masculin. Au début, j’avais un peu de difficulté parce que je ne connaissais pas les codes, mais je me suis laissé le temps d’apprivoiser la culture. C’était important pour moi de répondre aux besoins du milieu sans dénaturer ce qui se fait ici. Je pense que j’ai réussi à le faire, et si au passage j’ai pu améliorer certains aspects de la culture, j’ai toutes les raisons d’être fière du travail accompli », renchérit Camille.
Une contribution remarquée
Du côté de l’organisation, on salue les efforts que la stagiaire a déployés tout au long de son stage. Plus encore, on considère que son apport s’inscrit dans la tradition d’excellence de l’équipe de hockey.
« C’est énorme ce que quelqu’un comme Camille peut apporter aux Remparts. Grâce à elle, le soutien psychologique est accessible sur place, dès que les joueurs veulent s’en prévaloir. Et comme on parle de quelqu’un qui est présent dans leur environnement quotidien, l’approche se fait beaucoup plus facilement. Cette proximité fait en sorte qu’elle peut prendre en charge la prévention, l’intervention et le travail motivationnel plus efficacement que les ressources externes », remarque M. Lavoie, qui est aussi diplômé du baccalauréat en kinésiologie et du DESS en thérapie du sport de l’UQTR.
« Quand on m’a contacté pour mettre en place le projet de stage, j’étais loin de me douter que ça donnerait de tels résultats. Aujourd’hui, je peux dire que nous répéterions l’expérience sans hésiter, et que ce serait un plaisir de poursuivre ce partenariat dans les années à venir », avance-t-il.
Pleine d’humilité, la stagiaire retourne le compliment à son milieu d’accueil.
« Mon expérience avec les Remparts est aussi stimulante qu’enrichissante. Quand je propose des initiatives, le personnel me donne beaucoup de liberté pour les mettre en place. C’est super formateur ! Aussi, le fait d’assister aux pratiques et de partir sur la route avec l’équipe lors des matchs, ça brise un peu la routine », lance Camille.

Dans le cadre de son stage, Camille assiste aux pratiques des Remparts et accompagne l’équipe sur la route. (Photo: Thibault Jousselin, UQTR)
Décloisonner la psychoéducation
Plusieurs des stages en psychoéducation émanant du campus de l’UQTR à Québec se font par l’intermédiaire du CUPC, ce qui contribue fortement à l’enracinement de l’Université dans le tissu social de la Capitale-Nationale.
« Le CUPC, c’est un peu la clinique universitaire du Département de psychoéducation et travail social, mais avec une couleur particulière. Plutôt que de faire venir les gens dans nos murs, nous nous sommes rapprochés de la communauté de différentes façons. Ça nous permet de faire des stages de maîtrise dans des environnements où, traditionnellement, il n’y a pas de psychoéducateurs ou de psychoéducatrices. L’accompagnement se déplace dans les milieux par l’intermédiaire de nos stagiaires ; c’est une façon pour nous d’innover et de diversifier nos pratiques », indique Dave DesRosiers, chargé de cours à l’UQTR et coordonnateur du CUPC.
En plus des Remparts, les stagiaires en psychoéducation se retrouvent dans des milieux divers. Des CPE aux usines, ils prennent part à des projets de médiation culturelle, d’intégration socioprofessionnelle et d’intervention de proximité en santé mentale, pour ne nommer que ceux-là. Ils collaborent également avec plusieurs partenaires, comme la Ville de Québec, les organismes communautaires, le réseau scolaire et le Regroupement des CPE des régions de Québec et Chaudière-Appalaches.

Bien qu’il s’agisse d’un milieu de stage atypique, les Remparts de Québec offrent à Camille une expérience enrichissante. (Photo: Thibault Jousselin, UQTR)
« Le rôle des stagiaires, c’est toujours d’être des psychoéducateurs ou des psychoéducatrices ! Or, leur stage les amène dans des milieux différents, avec des clientèles qui ont des besoins différents. Pour nous, ces contributions communautaires sont toutes très intéressantes, parce que ce sont d’incroyables points d’ancrage. D’ailleurs, quand l’UQTR est arrivée dans le quartier, le directeur général de la Ruche Vanier, François Labbé, a dit que c’était symbole important. Auparavant, il n’y avait aucun établissement d’enseignement supérieur dans Vanier », note M. DesRosiers.
« Je pense que c’est en sortant de nos murs que notre impact social devient pertinent. Si la mission d’une université est de faire de l’enseignement et de la recherche, elle ne prend son sens que si elle est en phase avec les besoins de la communauté qui l’entoure. C’est ça qui fait de nous un acteur intéressant. À travers leur formation, nos étudiants intègrent la notion de proximité. Ils apprennent que pour faire une différence, ils doivent prendre le temps de tisser des liens. Au début de leur stage, je leur demande d’apprivoiser les gens qu’ils côtoient, et d’apprendre la couleur des murs. Ce que je veux dire par là, c’est qu’ils doivent poser un regard humain avant de jouer un rôle de stagiaire en psychoéducation. C’est l’un des éléments signature de nos stages », conclut-il.
La formule proposée au campus de l’UQTR à Québec encourage ainsi les stagiaires à être actifs dans leur communauté. Cette particularité donne lieu à des récits souvent très intéressants. Dans le cas de Camille, elle présentera son projet de maîtrise le 24 avril prochain en après-midi, dans le cadre du colloque en psychoéducation de l’UQTR. La programmation complète est disponible sur le site Web de l’événement.
Consulter la liste des programmes offerts au campus de l’UQTR à Québec.