Le campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) est fréquenté annuellement par plusieurs milliers de personnes. Si l’essentiel de la communauté circule dans les principaux pavillons, il demeure cependant quelques recoins qui ne sont connus que par une poignée d’initiés. L’atelier de verre, qui se trouve au sous-sol du Benjamin-Sulte, fait partie de ces secrets bien gardés.
À première vue, l’endroit ressemble au reste des souterrains de l’Université. Or, lorsque Jean-Paul Martel ouvre le four qui trône au milieu de la pièce, on ressent subitement les 1 200 °C (ou 2 200 °F) qu’il dégage. Le professeur au Département de philosophie et des arts connaît bien cette sensation. C’est ici qu’il transmet son savoir depuis maintenant 27 ans.
« Dans les cours de verre soufflé, les étudiants apprennent à faire de la sculpture. Lorsqu’ils arrivent en septembre, ils passent la première moitié de la session à travailler avec le verre à froid. Ils apprennent le taillage, le collage, le polissage, le laminage, la gravure au jet de sable, etc. À travers tout ça, il y a une partie théorique qui comprend l’histoire, la physique et la chimie du verre. Après la semaine de travaux et d’études, on commence les premiers exercices avec le verre à chaud. Ils apprennent à cueillir le verre, et à le travailler. Une fois que la technique est acquise, ils peuvent se lancer dans les sculptures façonnées ou soufflées », indique le responsable de l’atelier.
« Dans le deuxième cours, qui commence en janvier, j’introduis tout de suite la couleur. Comme les étudiants ont appris à manier la canne pendant l’automne, ils sont moins susceptibles de laisser le verre tomber dans le four. Outre cela, je leur enseigne d’autres techniques de coulage et de soufflage. À partir de la mi-session, ils commencent à travailler dans les fours électriques. Ils vont élaborer des sculptures en pâte de verre, et apprendre à faire du thermoformage », complète M. Martel.
En plus d’un microprogramme de premier cycle en verre spécifiquement dédié, la section des arts de l’UQTR offre une dizaine de programmes d’études dans des disciplines variées. Or, la structure des programmes fait en sorte que les étudiants peuvent s’inscrire aux cours de verre soufflé, peu importe le cheminement qu’ils ont choisi. Ils peuvent également consacrer leur projet de fin d’études au verre, pour éventuellement prendre part à une exposition et être admissibles à des bourses.
Une démarche artistique à part
La sculpture peut faire appel à divers matériaux, tels que le bois, le métal, la pierre, le béton ou le plâtre. Bien que chaque matière première ait des caractéristiques différentes, les œuvres qui en découlent ont en commun certaines propriétés physiques. En ce qui concerne le verre, M. Martel fait remarquer qu’il s’agit d’un type de sculpture fondamentalement différent.
« Passer d’un style de sculpture à un autre, c’est un peu comme passer du français à l’espagnol ou à l’italien. Il y a des similarités. Dans le cas du verre, ce serait plus comme passer du français au chinois. Même si vous êtes un bon sculpteur, lorsque vous arrivez dans un atelier de verre, ce ne sont plus les mêmes codes. Les matériaux opaques donnent des sculptures en trois dimensions, délimitées par des contours, et sur lesquelles la lumière rebondit. Avec le verre, une autre dimension s’ajoute : celle de la transparence. Il faut donc apprendre à domestiquer la lumière. Comme elle s’introduit à l’intérieur de la sculpture, elle devient une partie intégrante de l’œuvre », explique le professeur.
M. Martel ajoute qu’en raison de cette propriété, la transparence a longtemps procuré aux œuvres une aura un peu mystique. Étant donné que le verre est perméable au regard, tout en demeurant impénétrable au toucher, il venait en quelque sorte sacraliser l’objet ou son contenu. Or, ce prestige a commencé à s’effacer avec le début de la production industrielle du verre au XIXe siècle.
Une brève histoire du verre… à l’UQTR
Comme le verre est un matériau associé à la modernité, on pourrait croire que son invention est relativement récente dans l’histoire. Pourtant, le professeur y va d’une déclaration surprenante : le verre aurait pratiquement 5 000 ans. Sans réciter la totalité de son cours, il donne un aperçu de la fascinante chronologie du verre.
« Lorsque l’humanité était nomade, le seul verre qui existait était le verre naturel, comme l’obsidienne, l’onyx et l’agate. À ce moment, c’était impossible pour l’homme de faire du verre. Puis, avec la sédentarisation, on a vu apparaître les premiers fours à céramique. On s’est alors rendu compte que les cendres, qui contiennent des fondants, permettaient de vitrifier la silice contenue dans la céramique. Plus tard, autour de 50 avant Jésus-Christ, et sans doute par accident, on découvre la technique du verre soufflé. Cette avancée va elle-même permettre l’apparition du verre plat vers le Ier siècle », relate-t-il.
Mais qu’en est-il de la formation en verre offerte à l’UQTR ? Après tout, l’Université est la seule au Québec à enseigner cette discipline. Ici encore, M. Martel a une histoire à raconter.
« Dans les années 1960, le mouvement esthétique verrier émerge simultanément à deux endroits. D’une part, l’artiste américain Harvey Littleton découvre la technique du verre soufflé lors d’un voyage d’études à Murano. À son retour d’Italie, il décide de s’inspirer du travail des artisans, et l’introduit aux États-Unis comme technique de création. D’autre part, en Tchécoslovaquie, Stanislav Libenský devient directeur de l’atelier de verre de la Haute école des arts décoratifs de Prague. Il décide alors de s’intéresser au verre pour ses qualités optiques et artistiques », évoque le professeur.
« Au même moment, Gilles Désaulniers, un artiste de Shawinigan, a fait sa maîtrise à Washington sur la lumière et le mélange des couleurs. Il avait fait venir d’Europe des échantillons de verre fait à la main, mais regrettait de ne pas pouvoir faire lui-même son propre verre. En 1967, il se rend à Montréal pour Expo 67, et visite le pavillon de la Tchécoslovaquie. Il découvre alors des œuvres en verre au format plus humain, avec de la couleur et des épaisseurs. Éventuellement, il a décidé de se rendre à Prague pour suivre les cours de verre de Libenský », poursuit M. Martel.
Entre temps, au Québec, l’École des beaux-arts de Montréal ferme ses portes, et ce sont les universités qui reprennent l’enseignement des arts. L’UQTR, qui veut ouvrir un département et développer une spécialité, se tourne alors vers Gilles Désaulniers. Ce dernier fonde finalement l’atelier de verre de l’UQTR en 1971.
« Il s’agit du premier atelier de verre au Québec. Au départ, l’Université offrait seulement une formation en verre à froid, mais avec les années, Gilles a mis beaucoup d’efforts à bonifier notre offre. Et le jour où il a pris sa retraite, c’est avec beaucoup de fierté que j’ai pris sa succession », conclut M. Martel.