Originaire du village de Saint-Augustin situé sur la Basse-Côte-Nord, au Québec, Kristopher Fequet a dû quitter son coin de pays pendant quelques années, pour poursuivre ses études au collégial et au premier cycle universitaire. Aujourd’hui de retour dans sa région, il mène des recherches visant à permettre la production de collagène à partir d’une ressource locale : le concombre de mer. Ses travaux se déroulent à l’intérieur de ses études à la maîtrise en sciences et génie des matériaux lignocellulosiques, un programme offert par l’UQTR.
« Après avoir obtenu deux baccalauréats à l’Université d’Ottawa – l’un en génie chimique et l’autre en sciences de la biochimie – je suis revenu sur la Basse-Côte-Nord afin d’y travailler pour la Coasters Association, située dans le village de Rivière-Saint-Paul, se rappelle l’étudiant. Ce sont les gens de cet organisme sans but lucratif qui m’ont encouragé à retourner dans ma région. Ils m’ont offert un emploi en recherche et développement dans le domaine de la transformation de bioproduits issus de ressources naturelles locales. Ils m’ont aussi proposé de mener mes recherches en réalisant une maîtrise à distance, grâce à un partenariat avec l’UQTR et le professeur Simon Barnabé. »
Chercheur à l’Institut d’innovations en écomatériaux, écoproduits et écoénergies (I2E3) à base de biomasse de l’UQTR, le professeur Barnabé a déjà dirigé les travaux de maîtrise d’autres étudiants de la Basse-Côte-Nord, en lien avec les possibilités d’utilisation des bioressources de la région. « Avec l’aide du professeur Barnabé, l’un des codirecteurs de ma maîtrise, nous avons mis sur pied un projet avec l’entreprise Shore Grow de Rivière-Saint-Paul. Cette dernière s’intéresse au potentiel commercial de différentes espèces marines locales. Parmi elles, nous avons ciblé tout particulièrement le concombre de mer, qui fait l’objet de mes travaux de recherche », rapporte Kristopher Fequet.
Produire un collagène d’origine nord-côtière
Petit animal cylindrique des fonds marins, le concombre de mer est pourvu d’une peau épineuse et de tentacules lui permettant de se nourrir. Selon Pêches et Océans Canada, cet invertébré n’est pêché que depuis peu (fin des années 2000) dans l’estuaire et le nord du golf du fleuve Saint-Laurent. L’espèce retrouvée dans ces eaux, d’une taille d’une dizaine de centimètres en moyenne, porte le nom de Cucumaria frondosa.
« Pour le moment, les concombres de mer récoltés ici sont surtout destinés à l’industrie alimentaire et aux restaurants, explique Kristopher Fequet. Mais cet animal contient aussi du collagène, tout particulièrement dans les parois de son corps. Je travaille donc à concevoir et à optimiser un processus d’extraction du collagène des concombres de mer de la Basse-Côte-Nord, qui pourra être utilisé en contexte industriel. Le collagène tiré du concombre de mer offre des possibilités de commercialisation intéressantes, notamment pour le marché des produits cosmétiques et nutraceutiques. »
En début de projet, Kristopher Fequet a d’abord consacré ses efforts à une revue de la littérature scientifique, pour recenser les quelques études disponibles sur l’extraction du collagène du concombre de mer. « Les travaux déjà réalisés par d’autres chercheurs nous donnent des indications, des idées à explorer. Mais avec notre projet, nous voulons aller encore plus loin que les études existantes en développant un procédé d’extraction qui sera applicable à l’échelle industrielle, pour le traitement de grandes quantités de concombres de mer », fait-il remarquer.
La mise au point d’un procédé d’extraction industriel utilisable dans une région comme la Basse-Côte-Nord comporte son lot de défis. « Nous sommes en territoire nordique où le transport et la logistique sont compliqués et où les arrivages de l’extérieur coûtent cher. Nous devons donc développer des procédés d’extraction les plus simples possible, qui requièrent un minimum de produits. Il nous faut aussi utiliser des équipements peu complexes, faciles à réparer sur place. Sinon, les coûts risquent d’être trop élevés et de miner la rentabilité du projet », indique l’étudiant.
Expérimenter en laboratoire grâce à un partenaire du Bas-Saint-Laurent
Après avoir ciblé certains procédés et paramètres prometteurs pour l’extraction du collagène chez le concombre de mer, Kristopher Fequet a commencé des essais en laboratoire. Cette portion de ses travaux se déroule au Centre de recherche sur les biotechnologies marines (CRBM) de Rimouski, un autre partenaire du projet visant le concombre de mer de la Basse-Côte-Nord. Les intervenants du CRBM possèdent une vaste expérience en valorisation des produits marins.
« Au CRBM, je réalise mes travaux sous la supervision d’Erwann Fraboulet, chercheur en valorisation de la bioressource. Le CRBM est doté de petits et grands réacteurs permettant de faire des essais autant à échelle réduite qu’à plus grand volume. Il comporte aussi différents appareils servant à tester des méthodes de prétraitement, de séchage et d’extraction. Avec l’aide d’un technicien, je peux utiliser les équipements scientifiques disponibles pour des manipulations et analyses. Une grande partie de ce travail a lieu dans l’usine pilote du CRBM », précise l’étudiant.
Les concombres de mer utilisés par le chercheur sont fournis par les Pêcheries Shipek d’Ekuanitshit, une communauté innue située non loin de Havre-Saint-Pierre. « Les dirigeants de cette entreprise ont fait beaucoup d’efforts pour faciliter nos travaux et nous fournir de bonnes quantités de concombres de mer. Nous leur en sommes très reconnaissants. Nous prévoyons d’ailleurs les tenir au courant de nos avancées et de nos résultats de recherche », souligne Kristopher Fequet, dont le projet est financé par Mitacs ainsi que le Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ).
Contribuer au développement de la Basse-Côte-Nord
À la fin d’avril dernier, Kristopher Fequet a terminé la première partie de ses expérimentations au CRBM. Il est maintenant revenu à Rivière-Saint-Paul pour examiner et analyser les données obtenues. Il retournera ensuite au CRBM en septembre prochain pour y finaliser ses travaux de laboratoire.
« Avant de pouvoir implanter notre procédé d’extraction en usine, nous devons d’abord l’optimiser en laboratoire, spécifie l’étudiant. C’est pourquoi nous effectuons de nombreux tests au CRBM et que nous recueillons un maximum de données, pour nous assurer d’un bon rendement et d’un bon produit final. Lorsque les expérimentations en laboratoire seront terminées, je compléterai l’analyse de toutes ces données pendant la dernière étape de ma maîtrise. »
Kristopher Fequet se dit fort heureux d’avoir pu rencontrer le professeur Simon Barnabé sur son parcours, ce qui lui a permis de mettre sur pied le réseau nécessaire à la réalisation de son projet de recherche. « Simon est vraiment passionné par la Basse-Côte-Nord et son potentiel de développement. C’est un peu un leader pour moi. Il me donne d’excellents conseils, tout comme Erwann Fraboulet de CRBM et Kimberly Buffitt, la directrice générale de Shore Grow. Ça prend une telle équipe, avec tous les autres partenaires que j’ai déjà mentionnés, pour réaliser un projet d’implantation d’une usine d’extraction du collagène du concombre de mer sur la Basse-Côte-Nord. Tu ne peux pas y arriver seul », note-t-il.
Maintenant à l’emploi de l’entreprise nord-côtière GIDC Mecatina – qui lui donne le temps nécessaire pour réaliser ses travaux de recherche en vue de l’obtention de sa maîtrise – Kristopher Fequet se réjouit d’avoir pu retourner vivre sur la Basse-Côte-Nord après ses études.
« Je voulais revenir travailler ici parce que ma famille, mes amis, c’est le plus important pour moi, mentionne l’étudiant. Et j’apprécie aussi beaucoup l’esprit communautaire très fort des gens de notre région, les Coasters comme on dit chez nous. Il y a 16 villages sur la Basse-Côte-Nord et nous avons plusieurs bioressources locales que nous pourrions exploiter pour créer différentes industries. C’est pourquoi il est important que les jeunes diplômés universitaires viennent s’établir ici, pour contribuer à l’implantation de nouvelles entreprises et au développement de la Basse-Côte-Nord. »