Grâce aux téléphones intelligents, beaucoup de choses transitent entre nos mains. Des photos d’une amie en vacances à Bali. Un courriel d’un collègue en déplacement à Denver. Même un appel de sa mère en résidence à Saint-Louis-de-Gonzague. De la magie, tout ça ? Non ! Ces contenus circulent grâce à de vastes réseaux de télécommunications. Et avec la multiplication des échanges, ceux-ci sont de plus en plus sollicités. Devant ce constat, une équipe de recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a entrepris de mettre de l’ordre dans cette masse de signaux.
Quand une goutte d’eau tombe au milieu d’un lac, une onde se propage à sa surface. S’il se met à pleuvoir, la quantité d’ondes générée transforme l’étendue d’eau en fresque chaotique. C’est ainsi qu’on pourrait illustrer notre environnement électromagnétique actuel. Si cette situation entraîne d’importants enjeux d’efficacité, le professeur Messaoud Ahmed Ouameur propose une solution novatrice : le développement de surfaces intelligentes reconfigurables (abrégées RIS en anglais).
Fabriquées avec des matériaux programmables, les RIS évoquent à la fois les panneaux solaires et les circuits imprimés. Leur particularité est qu’elles peuvent être contrôlées électroniquement, ce qui leur procure des capacités uniques sur le plan des communications sans-fil. Une propriété très utile considérant la réalité technologique des télécommunications.
« Quand on allume notre téléphone cellulaire, celui-ci se connecte à une station de base opérée par notre fournisseur de services mobiles. Cette station, habituellement située dans un rayon de 500 mètres à 10 kilomètres, permet à notre appareil d’accéder au réseau et d’utiliser des données. Or, comme l’antenne est située relativement loin, les radiofréquences qu’elle nous envoie se réfractent, se diffusent et se détruisent entre elles. Cela fait en sorte que le signal qui parvient à notre téléphone est très faible », explique M. Ahmed Ouameur.
« En contrepartie, les systèmes de télécommunications sont très intelligents. Dans les faits, l’ensemble des utilisateurs du réseau se partagent une même ressource, qu’on appelle le spectre. Ce que l’intelligence de la station de base fait, c’est d’attribuer différentes portions du spectre aux utilisateurs pour que leurs communications soient optimales. Elle effectue ce processus de manière dynamique et continue, plusieurs centaines de fois par seconde. Cela permet d’assurer une couverture de qualité en tout temps, même lors de déplacements. La station de base va simplement nous assigner des ressources plus favorables, sans que l’on se rende compte de quoi que ce soit », ajoute le professeur au Département de génie électrique et génie informatique.
Cette intelligence a cependant ses limites. Avec l’arrivée de la 5G, la technologie employée a en quelque sorte frappé un mur. Les stations de base subissent de fortes pressions : en plus d’être sollicitées toujours davantage, les signaux qu’elles décodent sont de plus en plus perturbés, déformés et déphasés. C’est là que M. Ahmed Ouameur souhaite amener une nouvelle idée.
« En plaçant des RIS dans l’environnement, on peut contrôler la dynamique de propagation des signaux. La surface agit un peu comme un miroir, au sens où elle réfléchit les ondes. Là où ça devient intéressant, c’est qu’en utilisant des algorithmes, nous pouvons contrôler le délai de propagation de ces ondes. C’est une manière très constructive d’augmenter la qualité du signal qui parvient à l’usager », indique-t-il.
Pour le démontrer, le professeur et ses étudiants ont mis au point leur propre panneau composé de RIS. Étonnamment simple à configurer (avec un seul bip), ce prototype remplit les promesses qui lui sont attribuées. Parfaitement fonctionnel dans un réseau 5G, il parvient à changer dynamiquement l’environnement de propagation sans-fil selon la volonté de l’utilisateur.
Prendre le contrôle
Pour procéder aux ajustements, l’interface du système prend la forme d’une application. Cette dernière a été développée par Nada Belhadj Ltaief, étudiante à la maîtrise en génie électrique. Un travail colossal, puisque le contrôle du réseau mobilise plusieurs millions de lignes de codes.
« La conception et la production nous ont demandé énormément de temps. Le code que nous avons développé est le nôtre ; bien qu’il y ait quelques chercheurs qui travaillent sur le sujet, nous n’avons trouvé aucun article scientifique qui décrivait de façon précise comment les RIS pouvaient interagir avec la 5G. C’est très difficile de trouver des modèles expérimentaux détaillés dans ce domaine à l’heure actuelle. Nous sommes sans doute parmi les premiers à en tester un, du moins au Canada », souligne M. Ahmed Ouameur.
Lors des expérimentations, le prototype de RIS est opéré par Elouanes « Louness » Khelifi, étudiant au doctorat en génie électrique (concentration génie informatique). Grâce à l’interface, il obtient des informations précises sur l’état du réseau, et peut configurer l’environnement afin d’en améliorer les performances. Si pour l’instant le contrôle du réseau s’effectue manuellement, la suite des travaux doit rendre le système autonome et intelligent.
« La prochaine étape ce serait d’utiliser l’intelligence artificielle pour simplifier le traitement des données et augmenter l’efficacité du système. L’apprentissage machine nous permettrait notamment de faire de la communication sémantique, au sens où l’IA serait capable de dégager du sens à partir des données du système. Les algorithmes pourraient ainsi constituer un « lexique », soit un ensemble de règles complexes qui régiraient la gestion du réseau. Cela permettrait aussi de désengorger le système, car il y aurait une diminution considérable de la masse de données à traiter », note le professeur Ahmed Ouameur.
Transformer la société
Déployées à grande échelle, les RIS pourraient avoir de nombreuses applications. Dans le domaine industriel, de plus en plus d’équipements intelligents sont connectés aux réseaux 5G des entreprises[1]. En phase avec les principes et la vision de l’industrie 5.0, ces robots, véhicules autonomes et autres technologies représentent toutefois un défi d’intégration.
« Les usines intelligentes sont des environnements où il est très difficile de déployer un système sans-fil. Comme les équipements sont de plus en plus nombreux à être équipés de capteurs, il y a également davantage de nœuds qui se connectent au réseau. C’est un peu l’équivalent industriel de la maison connectée ; l’enjeu, c’est que ça crée un réseau très hétérogène. En ce sens, les RIS pourraient faciliter l’installation et la configuration de ces équipements. Qui plus est, il importe de poursuivre nos recherches afin d’être prêts pour l’arrivée de la 6G. Cette technologie, qui succédera à la 5G, promet d’aller chercher beaucoup plus de performance », s’enthousiasme M. Ahmed Ouameur.
Une autre contribution des RIS serait de réduire la consommation d’énergie des réseaux mobiles. Avec l’avènement de la 5G il y a quelques années, de nouvelles infrastructures ont été mises en place pour mettre le réseau à niveau. Or, celles-ci se sont avérées plus énergivores que ce qui était anticipé. Pour répondre à cet enjeu, le professeur évoque les gains en efficacités rendus possibles par les RIS. Il affirme qu’en réduisant la perte de signaux, le réseau pourrait devenir beaucoup plus sobre sur le plan énergétique, ce qui réduirait du même coup son empreinte carbone.
Si leur utilisation se répand, les RIS pourraient aussi faire leur apparition dans le paysage urbain. M. Ahmed Ouameur estime que les surfaces intelligentes déployées dans les villes pourraient se marier discrètement à l’architecture, sur la façade des bâtiments ou à même les vitres.
« On pourrait transformer les panneaux de verre en matériaux sophistiqués. Il est possible d’intégrer les RIS au châssis sans que ce soit intrusif. En fait, ça fonctionne tellement bien qu’on ne voit rien ! On peut donc contrôler l’environnement sans-fil sans que personne ne s’en rende compte. Il y a déjà une entreprise en Chine qui a annoncé qu’elle allait déployer des RIS là-bas. Il faudrait donc se pencher sur la possibilité de faire ça ici », conclut-il.
Les étudiants-chercheurs associés au projet sont financés par MITACS en collaboration avec BCi Tech, et par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG).
[1] On retrouve plusieurs exemples de ces équipements intelligents connectés dans la vitrine technologique du Centre national intégré du manufacturier intelligent (CNIMI).
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