Depuis quelques années, le nombre de diagnostics de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) a augmenté de façon considérable au Québec. En matière d’éducation, cette situation a surtout affecté les élèves du primaire et du secondaire. Or, les cégeps et les universités constatent à leur tour un accroissement des cas de TDAH au sein leur population étudiante.
« Entre 2012 et 2017, le nombre d’étudiants universitaires inscrits au service pour les étudiants en situation de handicap qui présentaient un TDAH a augmenté d’environ 47% selon l’association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap », indique Jeanne Lagacé Leblanc, doctorante en psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Dans son projet de thèse, intitulé Mesures d’accommodements dans les établissements postsecondaires québécois : efficacité perçue et influence sur l’expérience scolaire selon les étudiants ayant un TDAH, Jeanne s’intéresse à l’offre de services des établissements d’enseignement supérieur en matière de mesures d’accommodement au TDAH. Plus précisément, elle cherche à documenter l’offre de services des cégeps et des universités pour répondre aux besoins des étudiants ayant un TDAH.
« Les universités ne disposent pas d’un modèle unique d’offre de services. Les intervenants agissent au meilleur de leur connaissance, mais il y a une variabilité d’un établissement à l’autre. C’est sans compter que les universités n’ont pas toutes accès aux mêmes ressources financières », évoque la doctorante.
En connaissant mieux la population étudiante ayant un TDAH et en déterminant les mesures d’accommodements les plus susceptibles de les aider, Jeanne espère tracer un portrait de la réalité vécue chez cette population et améliorer la compréhension de la situation actuelle.
« La situation actuelle est plutôt préoccupante. Il y a beaucoup d’articles qui en parlent dans les médias, notamment le dossier de Marie-Eve Morasse dans La Presse +. Les gros titres, comme La pression se fait sentir sur les campus, Demandes d’accommodement : tout le monde a peur, personne ne dit non, ou encore Aider les professeurs à aider les étudiants, sont évocateurs. C’est un sujet qui devient de plus en plus chaud », note-t-elle.
L’émergence du constat
Forte de deux années de doctorat, Jeanne s’intéresse au TDAH chez les étudiants postsecondaires depuis un bon moment déjà. À la maîtrise, elle a travaillé sur les impacts fonctionnels du TDAH en lien avec la médication et la consommation d’alcool et de drogues. Elle a également eu la chance d’œuvrer directement auprès des étudiants ayant un TDAH.
« Dans les dernières années, je me suis impliquée de façon bénévole dans des projets d’intervention ciblant les jeunes adultes ayant un TDAH. J’ai donc eu l’opportunité de participer au développement des services offerts aux populations scolaires ayant un TDAH. Ça m’a permis de prendre le pouls des intervenants et des décideurs », expose-t-elle.
Jeanne remarque aussi que la population postsecondaire ayant un TDAH est encore méconnue. Elle souligne que la littérature scientifique est assez mince en ce qui a trait à l’efficacité des mesures d’accommodement : les données empiriques sont quasiment inexistantes, et le contenu disponible se limite à de brèves descriptions. La doctorante s’inquiète aussi des résultats des études américaines, qui révèlent que les étudiants postsecondaires ayant un TDAH ne reçoivent pas toujours les accommodements adéquats, au point où certains n’utilisent tout simplement pas les services offerts.
« Cela peut témoigner de plusieurs enjeux, en particulier de la visibilité et de la pertinence des services actuels. Les élèves en situation de handicap des milieux primaires et secondaires finissent par graduer, et il faut les suivre. Au cégep, il y a encore une certaine structure : les étudiants peuvent rencontrer des intervenants, et on leur accorde du temps. À l’université, le mode de vie est tel que les étudiants ne peuvent pas toujours rencontrer un intervenant », souligne-t-elle.
L’étude à venir
Si tout se passe comme prévu, Jeanne pourra réaliser sa collecte de données à l’hiver 2019. Elle mènera d’abord une série d’entretiens, puis soumettra un questionnaire à un échantillon d’étudiants. La documentation recueillie permettra de déterminer la perception d’efficacité des mesures d’accommodement. Jeanne pourra ainsi déterminer comment les étudiants ayant un TDAH vivent leur scolarité, notamment en précisant les obstacles qu’ils rencontrent et les stratégies qu’ils emploient.
« Tous les étudiants qui ont un TDAH n’utilisent pas nécessairement les services adaptés. Est-ce que c’est parce qu’ils ont un support parental extraordinaire ? Est-ce que c’est parce que la médication est suffisante ? Il faut voir », se questionne-t-elle.
Jeanne souhaite également déterminer s’il y a des différences entre les services offerts au cégep et ceux que l’on retrouve à l’université. À cet égard, elle rapporte que le personnel des établissements d’enseignement est très réceptif à son projet. Elle ajoute que les étudiants le sont tout autant, puisqu’ils se sentent concernés par cette problématique.
« Il faut aller voir qui sont ces étudiants. Je veux parler avec ceux qui utilisent les mesures d’accommodement, mais aussi avec ceux qui ne les utilisent pas. Si tel est le cas, il est important de savoir pourquoi ils ne les utilisent pas. Connaissent-ils les mesures ? Les considèrent-ils comme pertinentes ? Choisissent-ils de ne pas s’en prévaloir ? Les démarches à entreprendre sont-elles trop complexes ? », s’interroge la doctorante, dont la thèse est dirigée par Line Massé, professeure au Département de psychoéducation, et codirigée par Nadia Rousseau, professeure au Département des sciences de l’éducation.
Un vif intérêt
Au terme de sa recherche, Jeanne pourra déterminer si ces dernières permettent bel et bien aux étudiants de surmonter leurs difficultés d’adaptation. À partir de son analyse, elle compte formuler des recommandations destinées à améliorer les interventions auprès des étudiants ayant un TDAH.
Considérant les retombées importantes de ce projet, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture a accordé à Jeanne une bourse de 70 000 $, étalée sur trois ans. Les Presses de l’Université du Québec lui ont aussi remis une bourse d’excellence de 4000 $.
« Quand on m’a décerné cette bourse, on m’a dit que la pertinence sociale de mon projet était évidente. Ça m’a fait plaisir, parce que j’aimerais que quelque chose de concret puisse ressortir de ma démarche », conclut-elle.
Si les démarches de Jeanne promettent un éclairage important en psychoéducation, d’autres domaines pourront aussi profiter de ces découvertes.